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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/428

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heureux des épigraphes latines qu’il a mises à ses ouvrages. C’est lui qui a popularisé un hémistiche de Juvénal : Vitam impendere vero. Beaucoup de latinistes n’en ont pas tant fait.

« J’apprends le grec, » écrivait-il à Mme de Warens, longtemps après le temps des Charmettes. Ah ! c’est dommage que le grec soit si difficile à apprendre ! Nous pouvons croire que Jean-Jacques s’en est aperçu comme tant d’autres, et nous devons le louer d’avoir fait, au moins pendant quelques jours, un effort méritoire pour épeler cette belle langue.

En histoire, les lectures de Jean-Jacques aux Charmettes venaient se rattacher à celles qu’il avait faites, à dix et douze ans, avec son père et le pasteur Lambercier ; dans l’intervalle, il avait vu les hommes et considéré sa propre destinée sous bien des aspects ; ses voyages à pied lui avaient fait traverser deux fois les Alpes, deux fois la France ; il avait du vaste monde une idée plus juste et meilleure qu’un écolier qui apprend la géographie sur les pupitres de sa classe. L’interruption et le retard n’étaient là qu’un stimulant de plus.

Nous aurons achevé la revue des études de Rousseau en revenant à la philosophie, dont nous avons déjà parlé. Il y avait pris pour guide, dit-il, un ouvrage du Père Bernard Lamy, prêtre de l’Oratoire : Entretiens sur les sciences. C’est une espèce de coup d’œil encyclopédique sur toutes les branches des connaissances humaines, et un fort bon livre en effet, quoiqu’il doive paraître aujourd’hui bien suranné ; on en jugera par cette plaisante assertion : « A la réserve de deux ou trois points, — si les cieux sont solides, ou non ; si la terre tourne, ou si elle ne tourne pas, — tous les philosophes sont d’accord. »

Si l’on voulait s’attacher à des traits isolés comme celui-là, il faudrait aussi remarquer chez le Père Lamy les premiers mots de son Idée de la logique : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, nous n’avons donc pas sujet de croire que notre nature soit mauvaise, » qui rappellent la première phrase de l’Emile : « Tout est bien, sortant des mains de l’Auteur des choses. « Mais l’effet d’ensemble est le principal : l’impression que reçut Rousseau de ce livre qu’il relut cent fois, dit-il, fut toute sérieuse, et disons le mot propre, édifiante.

Le Père Lamy était un homme pieux et savant, qui avait écrit ces Entretiens en vue des ecclésiastiques dont il voulait que les loisirs fussent remplis par de solides études. Un auteur ne sait jamais qui le lira. Ces pages, qui étaient destinées à former un clergé instruit et savant, à créer dans l’Eglise une élite intellectuelle, elles eurent pour principal effet d’unir, dans l’esprit