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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/468

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l’atmosphère, l’odeur de l’encens, le relent des cierges, le parfum des fleurs, le secret des paroles murmurées, l’harmonie de la musique et des chants, ce sont autant de caresses auxquelles tous les sens à la fois succombent et qui font passer par tout le corps une langueur voluptueuse. La religion apporte en outre à la sensualité un secours tout intellectuel. La faute qui par elle-même nous était indifférente nous devient agréable quand nous songeons qu’elle est une faute. C’est le mot de la Napolitaine dégustant un sorbet et disant qu’elle l’eût trouvé meilleur si c’eût été un péché. Beaucoup de gens savent surtout gré au christianisme d’avoir, en inventant le péché, augmenté d’autant la somme des jouissances. Durtal est de ces chrétiens-là.

Il faut bien savoir en effet quel est au moment de sa conversion l’état de ce que nous n’osons plus appeler l’âme de Durtal. Il est usé par vingt ans de noce. Il est tranquille, sans désirs, languissant, s’oubliant lui-même. L’excitation des sens est pour lui déjà du passé. C’est un grand intérêt de moins dans sa vie. Mais voici que, ne fût-ce que pour s’en accuser et s’en repentir, il est obligé de se ressouvenir de ce qu’il appelle avec une contrition énergique la voirie de ses sens et de sa porcherie : « Père, j’ai chassé les pourceaux de mon être, mais ils m’ont piétiné et couvert de purin, et l’étable même est en ruine. Ayez pitié ! je reviens de si loin. Faites miséricorde, Seigneur, au porcher sans place ! » Il est obligé de remuer et de « touiller » sa boue. C’est pour lui un plaisir mêlé d’horreur, mais tout de même un plaisir. — Alors un phénomène se produit en lui qui, au surplus, ne doit pas lui causer une surprise immodérée. Ses feux naguère éteints se rallument. Il constate que jamais il n’avait été si tourmenté que depuis sa conversion ; il songe que le catholicisme suscite d’immondes rumeurs lorsque l’on rôde dans ses alentours sans y entrer. Le démon de l’impureté vient le solliciter jusque dans le sanctuaire et lui souffle d’ignobles pensées dont ensuite il a honte, il se vomit après. Mais il est bien temps ! Entre les pensées libertines et les autres, il s’établit une sorte d’équilibre instable ou de mouvement circulaire. Ce résultat de sa bonne volonté l’afflige. « Ses sens dévergondés s’exaspéraient au contact des idées pieuses. Il flottait, comme une épave, entre la luxure et l’Église, et elles se le renvoyaient à tour de rôle, le forçant, dès qu’il s’approchait de l’une, à retourner aussitôt auprès de celle qu’il avait quittée ; et il en venait à se demander s’il n’était pas victime d’une mystification de ses bas instincts, cherchant à se ranimer sans même qu’il en eût conscience par le cordial d’une piété fausse. » A vrai dire il n’est encore qu’au seuil du temple. Ce n’est pas le temps de désespérer. Après de longues hésitations, il se décide à faire retraite à la Trappe. La première nuit qu’il passe dans cet asile de paix est marquée par de si effroyables assauts qu’il ne se souvient pas d’avoir rien subi de pareil, non pas même à