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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/563

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chacun fournit sa petite part d’indemnité. Nous payons au maire notre contribution annuelle, pour avoir droit aux consultations du médecin, qui passe ici, toutes les semaines, et se tient à la disposition du public dans une salle de la mairie. Ce médecin soigne, par abonnement, cinq ou six communes, qui lui offrent en retour tout le blé pour son pain, toute l’orge pour son cheval, et 4 000 francs d’argent. De même, nous faisons ferrer nos bêtes chez le maréchal-ferrant, sans rien lui devoir pour sa peine. Ce sont là des employés de la paroisse.

Le garde me raconte encore que les traditions, pour la culture des céréales, veulent que la terre de labour soit divisée en lots et ensemencée, une première fois, toute en blé ; la seconde année moitié en blé, moitié en seigle ; la troisième année toute en seigle. Puis elle se repose trois ans. Et, grâce à ce repos, malgré l’insuffisance des outils, des charrues notamment, qui grattent à peine le sol, les moissons réussissent. Enfin, j’apprends que l’instruction est très répandue, dans ce coin sauvage de l’Espagne, que tous les paysans, sans exception, savent lire, écrire et compter.

— Désirez-vous faire la preuve ? dit le garde. Holà, Dionisia !

Nous touchons le dernier mur de pierre sèche qui termine le bourg, du côté le plus bas. Par-dessus le mur, nous apercevons un jardin petit, planté de choux et de garbanzos altérés de pluie, et une masure qui n’a qu’une fenêtre et une porte. Une jeune fille, de quinze ans peut-être, qui n’a pas l’affreux mouchoir noué sous le menton, et dont les cheveux, bruns à reflets d’or, font deux bandeaux sur les tempes et se relèvent en chignon pointu, s’encadre dans l’ouverture de la porte.

— Vous cherchez mon père ? dit-elle. Il est avec ses moutons, dans la forêt, et je ne crois pas qu’il revienne avant la nuit noire.

— Voyez comme elle parle bien ! murmure le garde, en poussant la barrière à claire-voie. Elle est intelligente comme un ange, cette petite !

Je ne puis juger que du timbre de la voix, qui est musical, et de la légèreté des mots, qui ne tiennent pas aux lèvres, et s’envolent sans effort.

Nous pénétrons dans la chambre, en terre battue, assombrie par la fumée et par les peaux de bique, les vêtemens, les vieilles outres pendues aux solives. Mlle Dionisia s’est appuyée au chambranle de la cheminée, qui occupe un grand tiers de la chambre, et qui ressemble à une alcôve, avec trois bancs autour du foyer. On doit être là comme dans une étuve, les soirs d’hiver.

— N’est-ce pas, Dionisia, que tout le monde sait écrire ici ?

— Pourquoi non ?

— Toi surtout, ma petite. Cela t’arrive souvent d’écrire, même