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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/566

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Les jeunes filles chantent, sur un ton triste, une complainte qui commence ainsi : « De la maison de la tante Jeanne — nous sommes sorties huit jeunes filles ; — toutes pareilles nous entrerons au ciel, — en coupant les lis. — Allons, mes compagnes, allons ! — Qu’aucune de nous ne s’intimide, — car les âmes bénies — vont nous venir en aide. — Grâce à Dieu nous arrivons — aux portes de cette église ; — nous lui demandons licence, — pour pouvoir entrer dedans[1]. »

L’église est fermée ; le cortège s’arrête ; le jeune homme qui le conduit déclame une pièce de vers, où il expose que tout ce peuple vient prier pour les morts, et que les trépassés, les âmes bénies, comme il dit, attendent ce moment. Qu’on ouvre donc les portes.

Elles sont ouvertes. La foule emplit entièrement l’église, dont les fenêtres sont tendues de noir, et qui se trouve ainsi dans l’obscurité complète, sauf au milieu, où se dresse un catafalque, entouré de cierges jaunes, et sur le haut duquel on a posé une tête de mort et des ossemens desséchés. Les jeunes filles et le jeune homme se placent, avec leurs cerceaux fleuris, dans la pâle lumière, autour du catafalque. Tour à tour ils récitent à haute voix des poésies, où ils exposent les souffrances des âmes qui n’ont pas encore satisfait à la justice de Dieu, demandent pour elles la commisération des vivans, déplorent l’oubli où nous laissons nos plus chers parens après que nous avons cessé île les voir, et l’oubli même où nous sommes habituellement de notre fin certaine. « A quoi pensons-nous, dit l’une des jeunes filles, jeunes hommes et demoiselles, — vous qui êtes de mon âge ? — Nous pensons seulement — à faire comme l’hermine, — à bien garder notre couleur, — à aimer la toilette, — à façonner des nœuds de rubans, — à soigner nos nattes et nos bandeaux, — à bien ajuster nos tailles… — O corps qui si rapidement, — et quand tu es le mieux paré, — peux tomber là, comme une pierre ! » Alors, la dernière de toutes, une orpheline, se penche sur le catafalque, prend le crâne du mort dans une main, les ossemens dans l’autre, les élève au-dessus de sa tête, et s’en va à travers l’église sombre, chantant à peu près ceci : « A qui appartenaient ces os blancs ? Peut-être à un laboureur ou à un berger ? A quelqu’un dont les

  1. Voici les premiers fragmens de ces chants populaires, que j’ai pu me procurer, manuscrits, bien entendu.
    « De casa de la tia Juana, — salimos ocho doncellas ; — asi entremos para et cielo, — cortando las azucenas.
    « Vamos, compañeras, vamos, — ne acobardarse ningunas, — Que las animas benditas — llevamos en nuestra ayuda.
    « Gracias a Dios que llegamos, — a las puertas de este templo, — a Dios pedimos licencia — para poder entrar dentro. »