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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/636

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sang de la race latine bouillonne en chaque page de ces deux œuvres à la fois si modernes et si classiquement italiennes.

Mais les renégats de la mélodie latine sont plus que des aveugles : des ingrats ; ils battent leur nourrice, l’alma parens. « Qui nous vint d’Italie et qui lui vint des cieux… » C’est de la mélodie et non de l’harmonie que Musset aurait dû parler ainsi, car la mélodie, c’est bien de là-bas qu’elle nous est venue. À nous tous, aux Allemands eux-mêmes, dont le génie, jusque dans les premières œuvres de Beethoven, reste à demi italien. Bach excepté, et nous n’oublions pas la valeur d’une telle exception, le souffle du Sud les a tous effleurés. On ignore trop, par exemple, combien Haendel procède de Marcello, et que chez le maître vénitien se rencontre déjà toute la puissance, toute la pompe du maître anglo-saxon. On sait du moins que Haydn, qui déjà pense à l’allemande, chante encore à l’italienne. Mozart est frère de Virgile, et le jeune Beethoven ne promet d’abord qu’un second Mozart. Mais bientôt à la musique il donne une forme, une langue nationale, qui ne périra plus. L’Allemagne chaque jour, l’Allemagne des Weber, des Schubert, des Mendelssohn, des Schumann, s’éloigne davantage de l’Italie. On a vu avec quelle violence Wagner a consommé la rupture. Elle s’imposait et elle est sans retour ; mais de la primitive alliance encore est-il juste de ne point oublier quelle fut l’étroitesse et la gloire.

Sous les réserves qu’exige toujours l’emploi des formules générales, on pourrait partager en deux la musique entière : assigner la symphonie à l’Allemagne et la mélodie à l’Italie. L’Allemagne a l’âme symphonique ; sa devise est le : Symphonialis est anima de la sainte du moyen âge. L’Italie, au contraire, eut de tout temps l’âme chantante. L’une rentre en elle-même pour y écouter le chœur des harmonies intérieures : l’autre se porte au dehors, tout entière et d’un seul bond.

C’est l’Italie qui, du contrepoint du moyen âge, a dégagé la première ligne de chant. Ayant reçu du Nord la forme polyphonique, elle la porta jusqu’à la perfection, puis elle la brisa, et tira de ses débris une forme nouvelle. Rappelez-vous le Peccantem me quotidie de Palestrina, du maître deux fois grand, par le passé qu’il clôt et par l’avenir qu’il ouvre. Certes la beauté de cette page sublime est encore dans l’harmonie, dans le concert et dans le nombre ; mais elle est déjà dans le chant et dans l’unité, dans le dessin ou l’ébauche de ce que sera un jour la mélodie. Celle-ci peu à peu se délivre de liens relâchés peu à peu. La musique passant de l’église au théâtre, l’action lyrique va naturellement exiger l’abandon de la polyphonie pour la récitation à une seule