Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsqu’elle avait cinq à six ans, exerça les mêmes fonctions à Birmingham, à Londres, et se fixa enfin à Oxford. Attiré, comme son frère Matthew, par les problèmes de dogmatique chrétienne, mais d’un caractère fort indécis, il ne put trouver l’apaisement de ses doutes que dans l’église catholique, et il est aujourd’hui professeur à l’Université de Dublin. Sa mère, Julia Sorell, était la fille du premier gouverneur anglais de la Tasmanie : c’était une femme d’une grande beauté et d’une intelligence très cultivée. L’auteur de Robert Elsmere tient de son grand-père un optimisme, inébranlable, la décision et la sérénité du caractère, et le don d’organisation ; de ses parens, la sagacité d’observation et l’aspiration religieuse profonde. Son oncle, le poète, avec lequel elle a quelques traits frappans de ressemblance, lui a légué aussi plusieurs qualités précieuses : son tour d’esprit poétique et un vif sentiment des beautés de la nature ; son indépendance vis-à-vis du dogme ; et sa pitié pour les faibles et pour les égarés. Mais Mme Ward est surtout fille de l’Université d’Oxford, où elle a passé plus de vingt années de son existence. C’est auprès de cette alma mater, si tranquille et si sereine, majestueusement assise au milieu de sa cour de collèges gothiques, où la vie scientifique et théologique est si intense, qu’elle a orné son esprit des connaissances les plus variées ; c’est d’elle que Mme Ward a reçu cette méthode sévère pour traiter les problèmes de critique historique et de philosophie morale. Bien avant que l’enseignement supérieur fût accessible aux femmes, la jeune Mary Arnold était suspendue aux lèvres de l’exégète et helléniste Jowett, de l’historien Mark Pattison, de Freeman, et surtout de Thomas Green, professeur de philosophie morale, dont elle a tracé un si beau portrait sous le nom de Grey, dans son premier roman. Merveilleusement douée pour les langues, lisant avec facilité le latin, le français, l’italien, l’allemand et l’espagnol, elle dévora les livres de la bibliothèque de son père avant d’aller puiser dans les trésors de la bibliothèque Bodléienne. Sa prédilection marquée était alors pour l’ancienne histoire et la littérature espagnole ; et elle y était si profondément versée qu’à dix-huit ans, elle fut désignée pour faire partie d’un jury de concours, appelé à décerner un prix au meilleur ouvrage sur cette matière. N’y aurait-il pas une affinité de caractère entre elle et les héros de l’épopée chevaleresque de l’Espagne ?

C’est à Oxford que Mary Arnold rencontra M. Humphry Ward, qui était alors agrégé et « tuteur » au collège Brasenose. Tout rapprochait ces deux jeunes gens : la communauté des goûts intellectuels et du sens esthétique. Aussi le mariage, loin de les