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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/675

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Je me contenterai de résumer ces dépositions, sans prendre parti pour ou contre les thèses de leurs auteurs. Le chaos de doctrines contraires qui s’entre-choquent au Tonkin est bien fait pour nous laisser perplexes ; une opinion personnelle n’aurait quelque valeur qu’après une enquête sur les lieux. Passe encore de raisonner d’après des principes de cabinet, quand on parle de pays neufs, à peine peuplés, où l’on peut recommandera l’Européen certaines méthodes d’action. Dans l’Indo-Chine, une population nombreuse vit d’une civilisation particulière ; l’homme est un prisme toujours divers, qui dévie de façon imprévue les idées où l’on mettait le plus de confiance : laissons aux gouvernemens le travers de légiférer pour des hommes inconnus. Et puisque nous vivons dans un temps de généralisation hâtive, puisque si peu de gens prennent la peine de distinguer, il n’est pas hors de propos de préciser ici notre sentiment sur les grandes compagnies à charte. Nous ne cesserons de préconiser en Afrique le seul instrument approprié à notre tâche dans certaines parties de ce continent ; nous n’avons jamais songé à le transporter en Indo-Chine, pour l’appliquer à des races d’un maniement plus délicat. Il faut s’en tenir là-bas à la colonisation administrative, sous le manteau souple et commode du protectorat. Cette forme décente de la conquête rassure nos scrupules modernes ; nous croyons qu’elle est de notre invention : nous ne faisons que reprendre une tradition constante des Romains. Pour ne parler que du plus connu de leurs résidens, Ponce Pilate exerçait sur le royaume d’Hérode un protectorat tout pareil aux nôtres. M. de Lanessan pardonnera celle comparaison : le plaidoyer habile où il groupe les résultats de sa mission, sans un mot de récrimination, évoque tout naturellement les souvenirs de l’antiquité. Telles les apologies classiques des proconsuls, répondant à leurs détracteurs par un dédaigneux exposé de gestion.


I

Toutes les publications sur l’Indo-Chine débutent par le même préambule : la politique suivie dans le passé y est condamnée en bloc ; désapprobation formelle ou réserves discrètes, l’expression varie avec le tempérament de l’écrivain, le sentiment reste le même. C’est la seule tradition que nos administrateurs se transmettent fidèlement : chacun d’eux tombe à son tour sous le coup des sévérités qu’il n’avait pas ménagées à ses devanciers. M. de Lanessan a rarement un mot de blâme pour ceux qui l’ont précédé ; il fuit mieux : le tableau qu’il trace du Tonkin, au