Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non, la charité du Sud n’est pas et ne sera peut-être jamais celle du Nord, mais quel que soit le caractère qu’elle prenne dans les climats les plus divers, au nom de la morale ou au nom de la pitié, la charité entre les mains des femmes reste toujours ce qu’il y a de meilleur au monde. L’essentiel est qu’elle soit faite, comme on la fait dans tous les États-Unis, catholiques ou protestans, d’une manière qui mette étroitement en rapport les riches avec les pauvres et qui, tout en respectant les droits des congrégations, partout où celles-ci existent, ne décerne à personne le monopole des devoirs légués par l’Evangile à tous.

Mais en parlant d’une vertu commune à l’Amérique entière, j’ai passé inconsidérément la ligne qui s’appelait, avant la guerre, celle de Mason et Dixon. Cette fameuse ligne, tracée entre la Pensylvanie et le Maryland, séparait deux sociétés alors tout à fait dissemblables et qui offrent aujourd’hui encore, malgré l’unité accomplie, des oppositions frappantes. Les mœurs, les caractères, les traditions ne se laissent pas modifier d’un trait de plume comme les frontières, et, quoi que paraisse en penser le Nord, qui a sur ce chapitre les illusions naturelles aux vainqueurs, la complète assimilation d’idées et de sentimens ne sera point parachevée de longtemps, si la reconstruction politique est faite. Je reviendrai bientôt au Sud, et je ne m’attarderai que trop peut-être à la Nouvelle-Orléans où m’attendait cette inoubliable impression d’un quasi-retour dans la patrie. On ne peut nier toutefois que la condition des femmes américaines soit beaucoup plus intéressante à étudier dans le Nord, justement parce qu’elle diffère de la nôtre d’une façon plus radicale.

Dans le Nord seulement, les femmes portent une agitation de parole et d’opinion autour des problèmes sociaux. Les dames du Sud en sourient avec un peu de malice et gardent quant à elles l’attitude, sinon précisément des jeunes filles, du moins des épouses et des mères françaises. Elles vivent pour leurs maris, pour leurs enfans, pour leur intérieur, pour le monde, sans sortir de ce cercle étroit, à moins de circonstances graves, comme par exemple celles de la guerre de Sécession qui, sous l’éperon du patriotisme, les transforma toutes, du jour au lendemain, en héroïnes.


TH. BENTZON.