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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/853

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dans bien des districts, on n’eut pas l’embarras du choix ; en fait, il n’y eut d’exigé que le certificat de civisme. Les treize ou quatorze cents élèves ainsi recrutés formaient une masse très hétérogène, où tout différait, les origines, les âges et le degré d’instruction. Dans leurs rangs, il y avait de ci-devant nobles et d’anciens prêtres ; il y avait des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, beaucoup d’hommes mûrs et même des vieillards ; on se montrait, assis sur les bancs, Bougainville, le célèbre navigateur, qui avait soixante-six ans. Un grand nombre d’instituteurs primaires avaient été désignés, surtout dans les campagnes. Dans les villes, on avait pris volontiers des professeurs de collège, auxquels les événemens avaient fait des loisirs. C’est ainsi qu’à Paris furent nommés Mahérault, Crouzet, les deux Guéroult, De Wailly, Laromiguière, le futur professeur de la faculté des lettres ; mais on compte aussi sur cette liste beaucoup de fonctionnaires, employés de diverses sortes, magistrats et greffiers. Il y a jusqu’à des militaires qui, on ne sait trop comment, avaient réussi à se procurer un congé plus ou moins régulier.

L’incohérence qui avait présidé à ces choix se retrouve dans l’organisation des cours. On s’était d’abord proposé d’affecter à l’installation de l’Ecole l’église de la Sorbonne. Cette ambitieuse tentative, qui entraînait une dépense considérable, avait échoué devant la résistance obstinée du comité des finances, et il avait fallu se contenter de l’amphithéâtre du Muséum, où ne pouvaient guère tenir, en se tassant, que sept à huit cents auditeurs. Près de la moitié des élèves étaient donc condamnés à ne rien savoir des leçons que par les résumés des sténographes ; mais, étant donné les vides que durent faire, dans les rangs de cette multitude, outre la paresse de quelques délégués, les maladies provoquées par un rude hiver et par la difficulté de se chauffer et de se nourrir (c’est le moment où la disette sévit le plus cruellement à Paris), peut-être cette salle fut-elle suffisante pour recevoir, tant bien que mal, tous ceux que ne découragèrent pas le froid et la misère, ceux qui eurent vraiment le ferme propos d’écouter et de s’instruire.

A plus forte raison la place ne manqua-t-elle point, après que se fut satisfaite, un peu bruyamment, la première curiosité, dans les séances que le règlement réservait aux débats ou conférences. Les fondateurs de l’Ecole, qui emploient tantôt l’un, tantôt l’autre de ces termes, attendaient beaucoup de cette institution. C’est avec leur grandiloquence ordinaire qu’ils en annoncent et qu’ils en escomptent les effets. « L’enseignement, à les entendre, ne serait plus le résultat du travail d’un seul esprit, mais il serait celui du travail et des efforts simultanés de l’esprit de