Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/886

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi M. Tricoupi et M. Théodore Delyanni sont à la tête de deux partis opposés. Rien ne les sépare, rien, sauf leur situation personnelle, leurs relations personnelles, les intérêts personnels de ceux qui marchent avec eux. Là est le vice, là est la faiblesse du régime parlementaire transporté d’Angleterre en Grèce sans les conditions qui ont fait en Angleterre sa force et son honneur, c’est-à-dire sans ces luttes de principes qui légitiment et ennoblissent les rivalités de personnes. En Grèce, comme dans d’autres pays où ce régime a été importé sans y avoir trouvé ou créé des partis dignes de ce nom, la lutte n’est pas entre deux principes ; elle est entre deux clientèles politiques. Il s’agit surtout de savoir si les amis de M. Tricoupi ou les amis de M. Théodore Delyanni détiendront le pouvoir, les places, l’influence, s’ils occuperont les nomarchies (préfectures), s’ils peupleront les administrations de leurs amis, de leurs agens et de leurs protégés.

Les chefs de partis, en Grèce, sont cependant honnêtes, en ce sens qu’ils ne font pas fortune aux dépens de l’Etat. Pas un homme politique, dans le royaume hellénique, ne s’est jamais enrichi. On doit leur rendre cette justice qu’ils aiment la politique pour elle-même et non pour les avantages matériels qu’ils pourraient en tirer. Ceux qui étaient pauvres sont restés pauvres ; ceux qui étaient riches se sont appauvris. Tout homme qui a siégé à la Chambre pendant vingt ou vingt-cinq ans et qui a, par conséquent, supporté les frais d’un certain nombre d’élections, a largement ébréché sa fortune, s’il ne l’a détruite complètement. M. Tricoupi et M. Théodore Delyanni sont encore plus pauvres que leurs partisans. Le budget ne sert qu’à récompenser les services de la clientèle politique, des électeurs influens, des organisateurs d’élections. On donne des places soit à eux, soit à leurs amis, pinces peu payées et auxquelles ne viennent pas s’ajouter des profits illicites ; car l’employé grec, s’il est peu actif, est intègre et n’accepte pas de bakchich. L’usage de répartir les emplois au gré de la politique et au profit des partis n’en est pas moins la principale cause des maux dont souffre le pays. Ces places, si mal rétribuées, n’en sont pas moins écrasantes pour le budget de l’Etat, parce qu’elles sont innombrables. Des réformes nécessaires et reconnues telles ne peuvent pas se réaliser parce que les nombreux intérêts personnels attachés à la conservation des abus tiennent sous leur dépendance les cabinets parlementaires exclusivement préoccupés du souci de conserver leur majorité.

Les choses marchaient ainsi depuis longtemps, elles ont continué à marcher de même jusqu’au jour où, cette manière de procéder ayant abouti à un désastre financier, le pays s’est brusquement réveillé au bord de l’abîme. M. Tricoupi a été rendu