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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/127

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(barristers) qui ne sont point dans la cause. Enfin, au plus bas de la salle, entre le bureau du greffier, le dock de l’accusé, le box du jury et les gradins inférieurs, une table assez large occupe tout ce fond de puits. Autour d’elle, et assis coude à coude, justement sous le juge, et à deux pas du jury, les avocats de la cause : celui qui accuse, counsel for the prosecution, et celui qui défend, counsel for the prisoner. L’impression que produit ce prétoire modeste est celle du lieu le plus étroit, le plus terne, dans ses peintures grises où l’œil n’est attiré par aucun ornement. Lieu fort impropre assurément aux effets de théâtre, aux grands éclats de voix ! Surtout ici pas de gaîté ! le brouillard londonien s’est glissé dans la salle, voilée d’ennui et de brume. La seule voix qui sonne, un peu haute et tranchante, est, nous l’avons dit, celle de l’accusé. Ecoutons cette voix, écoutons ce que ces gens disent.

Peu de bruit, pas de gestes, ils conversent d’un ton posé, avec des silences.

Le juge, très serré dans sa robe rouge collante, les épaules couvertes d’une sorte de pèlerine, le crâne surmonté d’une étrange demi-perruque qui supplée celle des grands jours, est penché sur son petit bureau et écrit sans trêve. La loi lui fait un devoir de prendre des notes, et ces notes, plus tard remises au jury, lui fourniront à l’heure décisive une photographie du débat oral exécutée par son meilleur témoin. Témoin, c’est bien le nom qui convient à ce magistrat : témoin, arbitre et juge, jamais accusateur. S’il intervient, c’est pour expliquer au prisonnier l’étendue de ses droits, et parfois pour rappeler quelqu’un, d’un mot très rude, au respect absolu qui est dû à l’accusé. Mais cela est rarement nécessaire, et pendant presque tout le débat le juge est silencieux. Il ne s’occupe pas des questions de forme ; les « formules sacramentelles et gestes de justice » sont ici réduits au minimum ; pour ce qui est nécessaire cette manœuvre est commandée par des huissiers rapides et bien stylés. Le juge, à la fin du débat, donnera au jury des instructions précises sur les questions de droit qu’il aura à trancher ; il résumera l’affaire avec l’impartialité la plus stricte ; et s’il y a condamnation, il appliquera la peine, souvent avec grande rigueur. Pendant toute l’audience ce calme magistrat (qui est une très importante personnalité, de nom connu dans toute l’Angleterre) remplit son devoir avec un souci d’équité, un effort d’attention, de sérénité si visibles, que dans ce lieu ennuyeux et terne, devant ce juge à perruque ridicule, on se sent pris d’un véritable respect : de ce respect qu’inspire aux pauvres hommes tout effort bien sincère vers l’idéal inaccessible de justice et de vérité. Cependant ces