Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passionné Paris, et elle offre tous les dangers d’une « cause célèbre. » Imaginons un drame, que nous n’aurons nulle part à décrire, mais dont le thème, quelquefois rappelé, nous permettra de rendre plus sensibles les difficultés que le jury peut rencontrer sur sa route. A une date que l’on précise, deux amis, en pays étranger, voyageaient seuls sur un chemin bordé d’un précipice. Le lendemain l’un d’eux a quitté le pays, le cadavre de l’autre a été retrouvé au fond du précipice. Après dix ans écoulés quelqu’un dénonce le fait à la justice, et accuse le survivant d’avoir tué son ami. Telle est l’affaire sur laquelle nos jurés auront à statuer.


XI

Quels sont les pouvoirs du juré à l’audience ? Quel est son rôle pendant le débat ? Rôle tout passif ; le juré peut prendre des notes, et d’ordinaire il n’en prend pas ; le juré peut, en demandant la parole au président, poser des questions aux témoins, et d’ordinaire il n’en pose pas ; mieux encore, le juré peut réclamer tous les éclaircissemens qu’il « croit nécessaires à la manifestation de la vérité », et d’ordinaire il n’en réclame pas. Personne ne se plaint de ce mutisme, car, il faut bien le dire, on n’aime guère au Palais les interventions de jurés. Que l’un d’eux, en levant le doigt à la façon des écoliers, réclame la parole, aussitôt la Cour et le barreau sont en proie à la plus noire inquiétude. Il va « faire une nullité », manifester son opinion, et dans ce cas, autant partir et renvoyer l’affaire à une autre session, il faudra tout recommencer ! La question est posée enfin ; neuf fois sur dix, elle est si inutile, si vague, ou bien si étrangère à l’objet des préoccupations que le témoignage a fait naître dans l’esprit des gens expérimentés, que l’anxiété disparaît de tous les visages pour faire place à un sourire. Sourire aussitôt retenu, car ce juré souverain, qui est guetté par tant de critiques, ne compte à l’audience que des flatteurs. Si puérile ou même ridicule que fût sa question, il y aura quelqu’un pour le considérer après qu’il s’est assis avec un hochement de tête discrètement approbatif, un signe respectueux que la question est comprise, qu’elle a une portée immense et qu’il fallait du génie pour songer à la faire.

Malgré cet accueil flatteur, peu de questions se produisent. Pour des raisons diverses, le rôle de notre jury se borne à l’audience à une appréciation muette et passive des faits qui se déroulent devant lui. Son devoir est d’y rechercher les élémens d’une réponse à la question qui lui sera posée tout à l’heure : cet homme est-il coupable d’avoir tué ? Il doit donc apprécier, dans