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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/148

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manifestent donc avec violence, parfois avec scandale, et qui connaît les jurés et a causé avec eux sait combien ce spectacle provoque en eux l’étonnement et le blâme. Cependant, malgré eux ils en subissent l’influence, et le sourd murmure approbateur ou réprobateur qui accompagne tel ou tel témoignage ne peut manquer de les impressionner. Quand la foule intervient et dicte la sentence, le juré s’indigne… et il obéit. On ne nous accusera pas d’exagération, car chacun connaît, même sans avoir suivi les audiences, le rôle joué par le public en Cour d’assises. Ouvrons les journaux au hasard :

Voici une confrontation dramatique ; elle a « tenu toutes les espérances que les amateurs de scandale avaient pu mettre en elle… Ces deux hommes (l’accusé et un témoin) se sont déchirés à belles dents avec l’Apre volupté de s’enfoncer réciproquement leurs crocs dans la gorge. » Le public « marque les coups » ; à un moment l’accusé « bondit le poing levé ». Alors, « mouvemens en sens divers, » les uns « applaudissent l’accusé », les autres « le huent ». Cependant, un témoin antipathique se présente à la barre ; aussitôt « c’est une colère à peine dissimulée qui monte de la salle vers la brute qui se cache derrière son mouchoir » ; tout à l’heure « une rumeur de dégoût a parcouru l’auditoire », à présent « les dames se cachent en rougissant derrière l’éventail, le jury se tord, et l’audience est suspendue au milieu de rires homériques. » Voilà donc ce qu’on tolère du public aux audiences actuelles. Aux audiences d’hier se montrait-on plus rigoureux ? Je trouve la réponse dans un intéressant Eloge de Lachaud : « Dans l’a flaire A… des applaudissemens frénétiques éclatent et se continuent pendant plusieurs minutes accompagnés des cris : Bravo ! bravo ! et de trépignemens de pieds. » (Gazette des Tribunaux. ) Une autre fois « la foule franchit la barre. » Dans l’affaire T… « le défenseur est interrompu par une explosion de sentimens qui débordent de tous les cœurs ; l’émotion se traduit sous toutes les formes ; ce sont des cris, des sanglots, des gémissemens, des larmes. » (Gazette des Tribunaux. )

Il est superflu de démontrer l’inconvenance et les dangers de cette attitude du public. On sait combien toute foule est versatile, et on voit fréquemment à une première audience le public attendre et réclamer une sévère condamnation, et le lendemain, après une journée émaillée d’incidens, accueillir avec transport l’acquittement. Cette ingérence de la foule, cette influence directe exercée par elle sur le verdict ne peut que pousser aux plus graves incohérences. Elle est souvent barbare pour l’accusé, et toujours hautement contraire à la dignité de la justice. Il faudra