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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/16

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un vieux soldat, vaniteux mais brave, Montigny. Tels furent les chefs qu’on destina aux armées qu’il s’agissait maintenant de rassembler.

Ceci était l’affaire particulière du nouveau ministre de la guerre ; mais il se heurtait à de grandes difficultés. L’armée n’existait plus : ni cadres, ni troupes. Pour la refaire, il fallait de toute nécessité s’adresser aux gentilshommes et aux capitaines qui opéraient le recrutement par le système des commissions. Mais, par ce temps d’indiscipline universelle, ils se montraient très exigeans. Le moindre d’entre eux marchandait longuement et faisait payer chèrement un concours toujours mal assuré.

Le mieux était de recourir aux troupes étrangères : la Suisse avait, depuis longtemps, le privilège de fournir aux armées françaises leur plus solide noyau ; l’Allemagne avait été la grande « matrice des hommes » durant les guerres du XVIe siècle ; la Hollande était l’école des officiers et des ingénieurs. Pour s’assurer les ressources en hommes que ces pays voisins pouvaient fournir, la politique du nouveau cabinet dut donc s’orienter sans retard vers les questions extérieures.

D’ailleurs, les princes rebelles avaient pris les devans. On n’ignorait pas que Bouillon, familier de tous les souverains, agissait auprès des puissances hostiles à l’Espagne, décriait partout le nouveau gouvernement, et réclamait des secours pour les rebelles français, en invoquant l’intérêt général de l’Europe. Il parlait, en somme, le langage traditionnel de la politique française, celui de Henri IV, celui qui devait servir plus tard à Richelieu lui-même. Il disait que les mariages espagnols subordonnaient la France à la politique de l’Escurial. Près des patriciens de Venise, il agitait le spectre de l’asservissement de la Péninsule ; aux États Généraux de Hollande, il rappelait les souvenirs de la guerre de l’indépendance ; au roi Jacques d’Angleterre, il faisait un cas de conscience de laisser le royaume de Henri IV s’inféoder de plus en plus à la papauté romaine ; il implorait l’appui des princes protestans de l’Allemagne au nom d’une vieille confraternité d’armes ; enfin, il savait qu’il trouverait dans le duc de Savoie un ambitieux toujours prêt à rechercher parmi les complications internationales l’accroissement de son domaine et la fortune de sa dynastie. Ses émissaires étaient partout. Ils dénonçaient l’influence toujours croissante des Italiens à la cour de France. Ils assuraient, non sans raison, que les Espagnols avaient les Concini à leur solde. Ils se plaignaient que les affaires du royaume fussent aux mains d’un évêque notoirement dévoué à l’Espagne. Ils justifiaient ainsi la cause des rebelles et