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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/223

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Le livre de M. Chamberlain est divisé en trois grandes parties, consacrées, la première à la vie, la seconde à la doctrine, et la dernière à l’œuvre artistique de Wagner. Division, comme l’on voit, très nette et très rationnelle, mais qui suffirait déjà pour nous empêcher de considérer ce remarquable ouvrage comme une étude définitive. Car autant il est commode d’établir des distinctions de ce genre dans un résumé, et que l’on destine à la vulgarisation, autant une pareille méthode est fâcheuse lorsque l’on veut pénétrer à fond dans l’intimité d’une œuvre ou d’une vie. Il n’est point de création si objective qui ne demande, pour être bien comprise, d’être reportée à la date où elle fut produite, et considérée au contact des circonstances parmi lesquelles elle est née. J’admets volontiers que, de toutes les influences dont on a prétendu faire dériver la genèse des œuvres d’art, aucune, ni la race, ni le milieu, ni le tempérament, n’agisse d’une façon immédiate et nécessaire ; mais chacune d’elles a sa petite part d’action, et davantage encore l’influence du moment et des circonstances. Et je souhaiterais qu’au lieu de séparer l’étude d’une œuvre de l’étude de la vie de son auteur, on rapprochât, on mêlât ces deux études plus étroitement qu’on ne l’a fait jusqu’ici ; qu’on essayât de reconstituer aussi exactement que possible la naissance de l’œuvre, en rattachant à des événemens extérieurs, aux sentimens, aux pensées de l’artiste chacune des phases successives de sa production. À cette condition seulement la biographie des grands hommes aurait une raison d’être ; et notre connaissance de l’œuvre elle-même y gagnerait en solidité, sans que la liberté de nos jugemens en fût le moins du monde entravée.

C’est d’ailleurs ce qu’a bien vu M. Chamberlain : et tout en séparant, pour la clarté de son esquisse, les trois aspects sous lesquels il a considéré Wagner, il a pris soin d’établir dans chacune des parties de son livre une série de points de repère, qui permettent de la relier aux deux autres parties. C’est ainsi, par exemple, que dans le résumé qu’il a fait de la vie de Wagner il s’est expressément attaché à dégager, des faits, l’influence qu’ils ont pu avoir sur la pensée et sur l’œuvre. Les seuls événemens qu’il rapporte sont ceux qui lui paraissent avoir contribué d’une façon notable à l’évolution intellectuelle de Wagner ; et de là vient que sa biographie, qui tient en vingt pages, nous renseigne mieux que de gros volumes employés à l’étude du fait pour le fait.

« Par un étrange caprice de la destinée, nous dit-il, la vie de Wagner s’est trouvée partagée en deux parties symétriques et égales. Trente-cinq ans après sa naissance, trente-cinq ans avant sa mort, un