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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/225

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Pour ce qui est des œuvres datant de cette seconde période, les Maîtres Chanteurs, Tristan et Isolde, l’Anneau du Nibelung, et Parsifal, M. Chamberlain estime qu’on ne saurait les rattacher à des époques distinctes, Wagner les ayant toutes longtemps portées en lui avant de les écrire, et ayant en quelque sorte travaillé à toutes simultanément. Et de fait M. Chamberlain a les dates pour lui : elles prouvent que le premier des drames de Wagner qui ait été joué, Tristan et Isolde, a été conçu après les trois autres, que la première idée des Maîtres Chanteurs (joués en 1867) remonte à 1845, et celle de Parsifal (joué en 1885) à 1854. Mais c’est ici qu’un examen plus approfondi des circonstances serait, je crois, d’un intérêt tout spécial, et permettrait de substituer à ces dates sommaires d’autres dates plus instructives. Car M. Chamberlain a beau nous démontrer que Parsifal a été conçu presque en même temps que l’Anneau du Nibelung et que Tristan et Isolde : nous persistons à penser que Parsifal n’aurait pas été tel qu’il est, si Wagner ne l’avait point écrit après ses autres drames ; et de même Tristan, et les Maîtres Chanteurs, nous paraissent bien correspondre à des momens précis de la vie de Wagner. La date où ils ont été conçus est assurément importante à connaître : mais nous sentons que leur vrai caractère consiste moins encore dans leur sujet et leur plan que dans la forme spéciale dont Wagner les a revêtus : et cette forme est le produit de circonstances spéciales, que nous aimerions à connaître.

Mais il est temps que, cessant de demander au livre de M. Chamberlain des détails que ses limites même lui interdisent de nous fournir, nous essayions plutôt de noter quelques-uns des renseignemens précieux dont il est rempli.


Nous y voyons d’abord comment Wagner est, en quelque sorte, né pour le théâtre. Son père, Frédéric Wagner, aimait le théâtre d’un amour si passionné que, ne pouvant renoncer lui-même aux fonctions qu’il occupait près du tribunal civil de Leipzig, il engageait du moins tous ses amis à devenir acteurs. Il mourut six mois après la naissance de son fils Richard ; et quelques mois après sa veuve se remariait avec l’acteur Geier, un de ceux précisément à qui Frédéric Wagner avait communiqué sa passion pour l’art dramatique. Ce Geier paraît d’ailleurs avoir été un des hommes les plus remarquables de son temps : à la fois poète, peintre, acteur et musicien. Il servit de père au petit Richard, dont le frère aîné et les trois sœurs étaient entrés, à leur tour, dans la carrière du théâtre. Et ce fut sous sa direction, et sous celle d’un oncle paternel, Adolphe Wagner, écrivain des plus distingués, que l’enfant reçut son éducation première.

Une éducation excellente, toute classique, et non pas restreinte à l’étude d’un seul art, comme avaient été celles de Mozart et de