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tout, sujet, poésie et musique, y soit subordonné à ce seul objet. Mais il me semble que, dans son livre nouveau, M. Chamberlain a marqué avec plus de relief encore que dans le précédent un autre caractère des drames de Wagner : leur caractère essentiellement musical, le rôle primordial qui y est assigné à la musique, seule chargée de l’expression, et de l’action même. « Si l’on considère depuis le début le développement artistique de Wagner, on s’aperçoit que l’unique progrès qui s’y produit consiste dans une extension, un renforcement constans du rôle de la musique. » Et M. Chamberlain nous dit en propres termes que c’est dans les opéras de Mozart qu’il convient de chercher les véritables prototypes du drame wagnérien. Vérité profonde et essentielle, et qui éclaire d’un jour absolument nouveau l’œuvre de Richard Wagner !

Mais je ne puis songer à suivre M. Chamberlain dans la savante et éloquente démonstration qu’il en fait. J’ai voulu seulement indiquer, par ces quelques exemples, la haute valeur et l’intérêt exceptionnel d’un ouvrage où il ne faut pas chercher, je le répète, une biographie détaillée de Richard Wagner, ni moins encore une appréciation critique de son œuvre, mais l’« image » que ce grand homme nous a laissée de lui-même. Dans la préface de son livre, M. Chamberlain rend justice aux écrivains allemands qui se sont, avant lui, occupés de Wagner : il aurait pu citer avec eux maints auteurs français : M. Schuré, M. Malherbe, M. Noufflard, M. Adolphe Jullien, dont les travaux garderont toujours leur prix, à côté des siens. Mais jamais personne ne s’était aussi passionnément soucié de découvrir, en dehors de toute impression personnelle, ce qu’avaient été la véritable pensée, les véritables intentions de Wagner. Quant à savoir en quelle mesure cette pensée était juste et belle, et surtout jusqu’à quel point ces intentions se sont trouvées réalisées dans l’œuvre artistique du maître de Bayreuth, ce sont des problèmes que M. Chamberlain a résolument écartés, l’unique objet de son livre étant de nous fournir des documens positifs et précis. À nous, désormais, de tirer de ces documens le parti qui nous conviendra, et de juger suivant nos goûts l’œuvre et la personne de Richard Wagner.

T. de Wyzewa.