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les questions internationales. Quelques-uns de nos journaux, qui souhaitent en France l’établissement d’une dictature, ont jugé l’occasion favorable pour montrer ce que peut se permettre un président des États-Unis, et pour placer en regard ce qu’ils appellent la nullité politique du président de notre république. Sans discuter leur thèse, il ne semble pas qu’ils en aient fait une application très judicieuse. Les États-Unis n’auraient rien perdu à avoir un président moins prime-sautier. Il est vrai que, si M. Cleveland avait eu besoin de couvrir sa responsabilité sous celle d’un ministre, ce n’est pas chez M. Olney, secrétaire d’État aux affaires étrangères, qu’il aurait trouvé des conseils utiles et, au besoin, une résistance efficace. Il est vrai aussi qu’au premier moment, le parlement américain, Chambre et Sénat, n’ont fait qu’un avec le Président, et ont voté presque à l’unanimité le crédit nécessaire à la commission qui devra étudier sur place les droits respectifs de l’Angleterre et du Venezuela. L’entraînement a été général. M. Cleveland a été pendant un jour l’homme populaire par excellence. Ses adversaires même désarmaient devant l’à-propos de son initiative. Tous les partis s’unissaient pour l’applaudir. On a pu croire qu’il avait joué le plus audacieux mais le plus heureux des coups de partie, et qu’il avait assuré sa réélection pour l’année prochaine. Seulement, dès le lendemain, le ciel s’est rembruni. On a rarement vu un revirement d’opinion aussi rapide, ni aussi complet.

Pour notre compte, nous pouvons assister avec une parfaite impassibilité au spectacle très suggestif que les États-Unis et l’Angleterre viennent de donner au monde. On a cherché de part et d’autre à mêler nos intérêts à ceux qui se trouvent aux prises. Les États-Unis l’ont fait dans des pièces diplomatiques, avec assez peu de tact et de bon goût. Les journaux anglais de leur côté, et avec un peu plus de raison, n’ont pas manqué de dire que, si la doctrine de Monroe venait à prévaloir avec l’extension qu’on lui donne, les conséquences en seraient aussi défavorables pour la France que pour l’Angleterre. Nous n’en disconvenons pas, et nous sommes bien loin d’admettre comme fondées toutes les prétentions des États-Unis. Elles sont excessives dans le fond, et ce n’est pas la forme que leur donnent MM. Cleveland et Olney qui nous les feraient plus facilement accepter. Si on voulait nous imposer un arbitrage, comme on essaie de l’imposer à l’Angleterre, nous répondrions qu’il est de la nature de l’arbitrage, dans les affaires publiques aussi bien que dans les affaires privées, d’être librement consenti et non pas obligatoirement subi. Si les États-Unis, pour trancher un différend entre une autre république américaine et nous, parlaient d’envoyer sur place une commission d’enquête dont les conclusions devraient faire loi pour les deux parties, nous répondrions que ce serait là un arbitrage détourné et le plus inacceptable de tous, puisque l’arbitre se serait désigné lui-même, et lui seul, et qu’il ne serait pas désintéressé