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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/426

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une sorte d’état de fait, et un acte de violence a été commis naguère par l’un de ses bas officiers au détriment d’un fonctionnaire britannique. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le feu aux poudres. L’Angleterre recourut d’abord à la voie diplomatique, tout en prenant des mesures pour mettre la Guyane en état de défense. Lord Salisbury fit signifier à Caracas un ultimatum portant non pas sur la question territoriale, mais sur la réparation des voies de fait commises contre des sujets de la reine dans ces parages par les agens de la police vénézuélienne. Il indiquait nettement comme un casus belli le maintien de l’occupation vénézuélienne sur la rive des fleuves Couyouni et Amacoura, c’est-à-dire dans les limites de la ligne Schomburgk ; pour le reste, c’est-à-dire pour le petit triangle entre le cours de ces fleuves et le lit de l’Orénoque, il daignait, avec une gracieuse générosité, ne pas rejeter a priori le recours à un arbitrage.

Toute cette petite négociation eût sans doute marché au gré des vœux du premier ministre de la reine Victoria si un tiers n’était venu brusquement se mettre en travers. Ce trouble-fête n’était autre que le gouvernement des Etats-Unis. Le pays était un peu las de ses interminables débats sur les sujets abstrus et ennuyeux du tarif et de la circulation monétaire. De plus la période des élections présidentielles allait s’ouvrir. Partis et candidats songeaient à se mettre en règle avec cette forme de patriotisme qui s’appelle en Amérique le Spread-eagle-ism, par une métaphore tirée de la constante invocation de l’aigle aux ailes éployées dont s’embellissent les armes nationales. M. Cleveland lui-même, à la veille des élections de 1888, ne se fit pas scrupule, avec l’aide de M. Bayard, son secrétaire d’Etat, de flatter les passions chauvines des masses en donnant ses passeports au ministre d’Angleterre, M. Sackville-West, sous le prétexte d’une peccadille plus que vénielle. Les initiés savaient déjà que M. Olney, le nouveau secrétaire d’Etat, — un juriste et non un diplomate, — était un produit typique de la Nouvelle-Angleterre, c’est-à-dire de la région rurale, religieuse et raisonneuse où se sont le mieux conservés, avec les traditions et les mœurs des ancêtres puritains, leurs sentimens fort mélangés pour l’Angleterre, mère et marâtre tout à la fois, ils croyaient savoir que ce ministre, dès le mois de juillet, avait prié M. Bayard, l’ambassadeur des Etats-Unis à Londres, d’interrompre pour un instant ses hymnes à la gloire de l’Angleterre aristocratique, conservatrice et libre-échangiste et ses déclamations contre l’Amérique démocratique, républicaine et protectionniste pour signifier à lord Salisbury, à l’égard du Venezuela, un vigoureux Jusqu’ici et pas plus loin.

On pensait généralement que l’ouverture de la session du