Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/548

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute la province où elle se trouverait située ; qu’elle pourrait jouir de tous ses apanages et appointemens et que, si cela ne suffisait, on lui donnerait davantage ; que le roi la verrait infailliblement avant son départ, et que Barbin aurait la vie sauve et serait traité avec ménagement.

Le départ fut fixé au 3 mai. Le roi vint la visiter ce jour-là. L’entrevue fut froide et politique. non tendre, ni de mère à fils. La reine l’appela Monsieur. Le roi répondit par un compliment apprêté que Luynes lui avait fait apprendre par cœur. La reine baisa le roi à la bouche, sans l’embrasser ; pourtant, à la fin, elle fondit en larmes, quand son second fils, Gaston, vint prendre congé d’elle ; elle le serra par deux fois, sans pouvoir presque parler. Mais aussitôt elle se reprit. et elle reçut, le visage froid et immobile, les complimens de la cour et de la ville, venues pour la saluer à son départ. On devinait, dans ce silence et dans cette froideur, l’orgueil blessé. la dissimulation et le désir de vengeance qui étreignaient le cœur de l’Italienne, chassée du pouvoir dans des circonstances si tragiques.

Au bas du perron, des carrosses attendaient la reine et sa suite. Laissons parler maintenant l’évêque de Luçon : « Elle sortit du Louvre simplement vêtue, accompagnée de tous ses domestiques qui portoient la tristesse peinte sur leur visage ; et il n’y avoit guère personne qui eût si peu de sentiment des choses humaines que la face de cette pompe quasi funèbre n’émût de compassion. Voir une grande princesse, peu de jours auparavant commandant absolument à ce grand royaume, abandonner son trône et passer, non secrètement et à la faveur des ténèbres de la nuit cachant son désastre, mais publiquement, en plein jour, à la vue de tout son peuple, par le milieu de sa ville capitale, comme en montre, pour sortir de son empire, étoit une chose si étrange qu’elle ne pouvoit être vue sans étonnement. Mais l’aversion qu’on avoit contre son gouvernement étoit si obstinée, que le peuple ne s’abstînt néanmoins pas de plusieurs paroles irrespectueuses en la voyant passer, qui lui étoient d’autant plus sensibles que c’étoient des traits qui rouvroient et ensanglantoient la blessure dont son cœur étoit entamé. »

Derrière la longue file de voitures qui emportait, comme dans une débâcle, ce qui restait de la coterie tombée, tout à la fin, dans le dernier carrosse, se trouvait l’évêque de Luçon accompagné de l’évêque de Chartres. Fermant le cortège de cette pompe quasi funèbre », il recueillait, en une heure décisive, la grave leçon que sa jeunesse, maintenant close, laissait à sa maturité.


G. HANOTAUX.