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À peu de distance l’une de l’autre, du côté défriché, sont les deux maisons bourgeoises de l’endroit, la demeure du colonel, très jolie, peinte en vert pâle, avec un balcon couronnant tout le rez-de-chaussée. Dans le bow-window sourient des visages d’enfans. L’autre maison est celle de la famille à laquelle mes compagnes appartiennent, l’une par le sang et l’autre par les liens d’une étroite amitié. Sur une des constructions primitives élevée d’un étage, ont été greffés quelques embellissemens discrets, une véranda où grimpent des lianes et aux piliers de laquelle s’attache une toile métallique destinée à tenir en respect un fléau local : les mouches. L’extérieur est rustique autant qu’il convient au cadre environnant, mais à peine a-t-on passé le seuil qu’on se sent au milieu de tous les raffinement du confort, de toutes les recherches esthétiques que l’on pourrait rencontrer dans un cottage de la campagne anglaise. Le salon est rempli non seulement de jolis meubles, mais de ces mille riens qui donnent de la vie aux murs et révèlent la présence de femmes distinguées ; partout ce sont des toiles peintes à gais ramages, des livres bien choisis, de bonnes gravures, des photographies de l’endroit prises par les dames de Clover Bend qui excellent dans cet art, comme dans tous les autres, y compris les ouvrages d’aiguille et la cuisine, ce qui n’est pas précisément américain.


Le lendemain de mon arrivée, nous visitons les deux écoles, celle des enfans de couleur d’abord, où la classe est faite par un jeune instituteur mulâtre, au teint très peu foncé, aux cheveux longs, à la barbe presque blonde. Il a d’assez nombreux élèves des deux sexes ; deux ou trois grands garçons l’aident à maintenir l’ordre. Les plus petits parmi les enfans sont d’abord interrogés devant moi ; ils apprennent à prononcer et à épeler correctement d’après la méthode du kindergarten. Aucune timidité, l’air vif et intelligent. Les petites filles surtout m’amusent ; elles roulent des yeux étincelans comme des perles de jais sous leurs petites tresses laineuses hérissées sur la tête en manière de cornes. Leurs aînées sont moins intéressantes ; il y en a de très grasses qui auraient grand besoin de corsets. Interrogées sur la géographie, quelques-unes font preuve de mémoire, d’autres se bornent à ricaner, les paupières obstinément baissées. Une odeur de bergerie où domineraient les moutons noirs règne dans la chambre. Du haut de la plate-forme, où l’on est toujours poussée de gré ou de force dès que l’on visite une école quelconque en Amérique, je dis aux enfans que je parlerai d’eux et de leurs progrès à Paris.