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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/628

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qui se lançaient dans la bataille, y frappaient de grands coups, y poussaient de grands cris. Le romantisme militant, le seul qu’on puisse apprécier à distance, était, par le fait, un parti de jeunes gens plus tempétueux que nombreux, une phalange d’artistes et de littérateurs groupés autour du chef qui s’imposait par le génie et luttant avec conviction, mais surtout avec éclat, pour conquérir des libertés qu’on ne pouvait pas sérieusement leur disputer. L’armée romantique, il faut le dire, était assez restreinte, et c’est pourquoi Gautier put, la mort venant, prononcer l’oraison funèbre des anciens camarades, à mesure qu’ils disparaissaient de ce monde. Ils eussent été légion, comme on le dit parfois, que Gautier n’aurait pas pu songer à leur rendre à tous ce suprême hommage ; et d’ailleurs, il ne les aurait pas tous connus.

C’est ce qui explique aussi pourquoi la belle période du romantisme échevelé fut si courte : elle dura tout au plus quinze ans. A mesure que ceux qui, vers leur vingtième année, avaient été soit Bousingots », soit « Jeune-France », ceux-ci se cantonnant dans les choses d’art et de littérature, affectant des tristesses byroniennes, prenant des dehors élégiaques et l’air maladif ; ceux-là envahissant le domaine politique et manifestant les idées les plus violentes ; à mesure que ces « Bousingots » et ces « Jeune-France » avaient avancé en âge et pris une carrière en devenant, qui magistrat ou médecin, qui fonctionnaire ou professeur, les moins nombreux de beaucoup continuant à manier le crayon, la plume ou le pinceau, la troupe s’était éparpillée aux quatre coins de la France. Et les nouveaux champions, les tard venus dans le romantisme s’étaient recrutés seulement parmi ceux qui, se trouvant encore au collège au temps du Roi s’amuse, avaient été piqués de la tarentule littéraire : on les appelait Vacquérie et Louis Bouilhet, Flaubert et Maxime du Camp, pour ne nommer que les principaux. Or, il n’y avait pas la, tout mérite à part, de quoi combler les vides faits dans les rangs romantiques par Page et l’éloignement.

J’ai dit que la brillante époque du romantisme avait duré seulement quinze ans : c’est presque trop dire. En étendant la période romantique, ainsi que l’a fait Asselineau, de l’apparition des premières Odes, en 1822, à la chute des Burgraves, en 1843, on prend une étendue extrême. En fait, la période absolument brillante et victorieuse du romantisme ne comprend que dix ou douze ans : de 1826, date de la publication des Odes et Ballades, à la représentation de Ruy Blas, en 1838. Qu’on vérifie, et l’on verra que presque toutes les œuvres demeurées célèbres de l’école romantique ont vu le jour dans ce court espace de temps : le théâtre et les poésies de Victor Hugo, les poèmes d’Alfred de Musset, les romans de Gautier, les drames d’Alfred de Vigny, les