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dont le symbole consacré était l’image d’Erichthonios sortant du sein de la Terre, ne trouve pas grâce devant son scepticisme impartial. « Les enfans ne naissent pas du sol, » répond Xouthos à une question que lui adresse le jeune Ion. Le même Ion, lorsque Créüse lui révèle qu’il est le fruit de ses amours avec Apollon, la prend à part pour lui dire à l’oreille son sentiment au sujet de ces amours des dieux et des mortelles : « Prends garde, ma mère ; ne va pas, après avoir cédé au mal qui pousse les jeunes filles à des unions secrètes, imputer ta faute au dieu. » Dans les Troyennes. Hécube s’appuie sur une idée analogue pour réfuter Hélène qui prétend que c’est la déesse Vénus qui l’a livrée à Pâris : Mon fils était d’une rare beauté ; à sa vue, c’est ton cœur qui est devenu Cypris — car toutes leurs folies pour les mortels s’appellent Aphrodite, et c’est avec raison que ce nom commence comme Aphrosyné (la folie). — Quand tu l’as vu dans son costume barbare et tout brillant d’or, la folie de la passion t’a emportée. » Quant à la fable du jugement de Pâris, il est de toute évidence que les déesses Héra et Athéné n’ont pas pu s’y soumettre : qu’avaient-elles à y gagner ? La première voulait-elle un époux plus grand que Jupiter ? et la seconde, qui avait obtenu de son père le privilège de la virginité, désirait-elle s’unir à quelque dieu ?

Ces citations suffisent. Euripide fait volontiers ressortir l’invraisemblance et la puérilité des fables mythologiques ; en particulier, il ne néglige pas une occasion d’insister sur le rôle immoral qu’elles prêtent aux dieux. L’impiété de Zeus à l’égard de son père Kronos et bien d’autres faits, les passions et les scandales qui déshonorent l’olympe, toutes ces indignes légendes sont jugées par lui presque comme elles le seront par les pères de l’Église dans leur polémique contre le paganisme. De la plus d’une proposition malsonnante pour les oreilles des dévots d’Athènes, car le culte lui-même est atteint par ces hardiesses : « Les fables qui font peur aux mortels profitent au culte des divinités,» dit le chœur d’Électre. Le gouvernement divin, tel qu’il paraît dans les actes de certaines divinités, est cruel et odieux : Apollon pousse irrésistiblement Oreste au parricide ; Aphrodite, pour venger son culte négligé, immole deux victimes, Hippolyte et Phèdre. Tous ces récits sur les dieux, acceptés par la croyance vulgaire et consacrés de tout temps par la poésie, offensent la raison d’Euripide, et, bien qu’ils forment la matière de son œuvre dramatique, il n’hésite pas à les attaquer. Mais il n’y aurait peut-être là qu’une impiété relative ; car, si ces critiques avaient pour effet de diminuer le respect des dieux, elles pouvaient venir d’une conception plus haute de leur nature et n’excluaient pas nécessairement