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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/764

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du costume et des habitudes qu’adoptaient les initiés étaient plus faites pour provoquer, dans la masse du public, la défiance et la raillerie que pour gagner la faveur populaire. Enfin le charlatanisme des orphéotélestes, confondus parmi les initiateurs de bas étage et les débitans de bonheur d’outre-tombe, fit rejaillir sur l’orphisme quelque chose du ridicule et du mépris dont Théophraste nous a laissé le témoignage.

Les traces de l’orphisme sont très reconnaissables chez Euripide. Dans différentes pièces, Orphée est célébré, non seulement comme le poète dont les chants ont un charme irrésistible, mais comme le sage inspiré qui, avec Musée, fut le bienfaiteur de l’humanité, et particulièrement d’Athènes, par l’introduction des mystères et par l’invention de ces remèdes contre la souffrance qui sont « gravés sur les tablettes thraces ». Sur la vie orphique et sur le dieu qui la prescrit, nous avons trois passages fort intéressans qui nous permettent d’apprécier l’orphisme d’Euripide. Le premier et probablement le second appartenaient à une pièce perdue intitulée les Crétois ; le troisième se lit dans Hippolyte porte-couronne. Voici ces passages. Dans le premier, c’est un chœur d’initiés aux mystères de Jupiter Idéen qui parle :

La pureté est la loi de ma vie depuis le jour où j’ai été consacré aux mystères de Jupiter Idéen, où, après avoir pris part aux omophagies (repas fait avec la chair crue du taureau) suivant la règle de Zagreus, ami des courses nocturnes, et agité en l’honneur de la Grande Mère la torche dans la montagne, j’ai reçu saintement le double nom de Curète et de Bacchant. Couvert de vêtemens d’une parfaite blancheur, je luis la naissance des mortels, ma main n’approche pas du cadavre qu’on ensevelit, et je n’admets parmi mes alimens rien de ce qui a vécu. »

On voit tout de suite que ces mystères de Jupiter ldéen sont une combinaison assez complexe. Les initiés sont à la fois des Corybantes, des Curètes, des Bacchans et des Orphiques. Ils appartiennent à la fois au culte phrygien de Cybèle, au culte crétois de Zeus, au culte enthousiaste du Bacchus grec et au culte orphique de Zagreus. C’est ce dernier qui domine ; c’est un idéal de pureté qu’ils se proposent et c’est la vie orphique dont ils suivent les prescriptions dans leur costume, dans leurs mœurs et dans leur vie. Le témoignage d’un chrétien du IVe siècle, Firmicus Maternus, montre qu’en réalité l’orphisme avait pénétré très profondément dans la religion du grand dieu de l’Ida ; mais, même en admettant que ce syncrétisme se fût déjà produit au temps d’Euripide, il resterait encore à relever le rapprochement de Cybèle et de Bacchus avec le Zeus Idéen. Euripide traitait fort librement