Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chaudordy cherchait habilement à tirer un parti alternatif de quelque déclaration russe ou anglaise en notre faveur, pour éveiller la préoccupation de l’une ou de l’autre de ces deux cours sur une entente possible et exclusive de la France avec l’une d’elles. Au fond, on pouvait avoir un peu d’humeur, ici ou là ; mais on n’avait aucune appréhension. Chacune des deux puissances savait parfaitement que personne ne tenterait rien de sérieux pour nous et si l’on paraissait légèrement irrité l’un contre l’autre, on était au fond tout à fait rassuré. Tout le monde désirait ardemment la fin de la guerre, se montrait disposé à y aider en facilitant les négociations, mais personne ne songeait à nous venir sincèrement en aide par un concours actif et armé. Aussi, à partir du jour où M. Thiers échoua dans ses premières négociations de paix avec M. de Bismarck, nous n’obtînmes plus rien de la Russie. J’en trouve la preuve dans les deux télégrammes suivans que j’adressai à M. de Chaudordy sur la question de l’armistice permettant le ravitaillement de Paris et la convocation de l’Assemblée nationale.

Le premier était daté du 21 novembre :


« Je viens de Tsarkoë-Selo où j’ai essayé par tous les moyens possibles d’obtenir de la Russie une nouvelle démarche auprès de la Prusse dans le sens que vous m’avez indiqué. Le prince Gortchacow m’a répondu que là où M. Thiers avait échoué, il craignait bien de ne pouvoir être plus heureux ; qu’au point de vue militaire il comprend également que nous ne puissions céder sur la question du ravitaillement et que les Prussiens ne voulussent pas consentir à l’armistice, parce que, dans ces conditions, il était au fond contraire à leurs intérêts.

« J’ai répondu au chancelier que Paris ne capitulerait que devant la famine, mais qu’il fallait s’attendre évidemment d’ici à huit ou quinze jours à une lutte terrible dont plusieurs milliers d’hommes seraient nécessairement les victimes, que devant cette effroyable prévision (je me permets de rappeler ici que ce télégramme était expédié dix jours avant les batailles de Paris du 30 novembre et du 2 décembre), qui d’un moment à l’autre pouvait devenir une réalité, tout repos était impossible, et que je le suppliais d’essayer au moins une dernière tentative.

« J’étais très ému en lui parlant ainsi. Le prince Gortchacow me demanda alors de lui donner une note qu’il pût transmettre. Je me suis mis à son bureau en transcrivant — sauf quelques mots que j’ai changés en vue de notre chiffre, — la proposition contenue dans votre télégramme du 17. Il l’a lue et m’a dit qu’elle n’était