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de l’ouest et du midi de la France ont aujourd’hui la même langue, le même genre de vie que ceux des Hollandais ; ils ont même, le plus souvent, perdu tout souvenir de leur pays d’origine ; seuls les nombreux noms patronymiques français révèlent que notre sang coule dans les veines de beaucoup d’entre eux ; assez souvent on rencontre des hommes aux yeux et aux cheveux foncés, aux traits accentués, dont la descendance latine ne peut faire aucun doute. Ce n’est pas là toutefois le type habituel du Boer, qui, sous l’influence d’un climat et d’un genre de vie tout différent, s’est aussi nettement distingué de celui du Hollandais : grand, maigre, les cheveux châtains, portant toute sa barbe blonde, qui encadre un visage impassible au front haut, aux yeux clairs, au nez mince et un peu long, le Boer est facile à reconnaître dès qu’on l’a vu une fois, qu’il marche lourdement à pied ou qu’il s’en aille aux allures détraquées de son petit cheval bai, décharné, à la croupe avalée, aux jambes défectueuses, semblant toujours prêt à tomber, mais adroit, accoutumé à marcher de nuit comme de jour, sans autre nourriture et sans autre litière que l’herbe du veld.

Le veld, c’est la campagne du Transvaal, aux longues ondulations herbeuses, vertes en été, brunies et desséchées pendant la saison sèche d’hiver, désolées surtout lorsque au printemps on a brûlé les herbes. Elle est aussi dépourvue d’arbres et de tout point saillant que la prairie américaine, et ceux-là seuls qui l’ont habitée longtemps sont sûrs de ne pas s’y perdre. Les Boers qui l’ont trouvée presque inoccupée s’y sont taillé de grandes termes de 2 500 hectares ; naguère encore, tout bourgeois de la République avait droit, à sa majorité, à une ferme prise sur les terres domaniales ; il la délimitait suivant un périmètre rectangulaire en en faisant le tour au trot de son cheval dans un temps fixé. Il pouvait alors se bâtir au milieu de ses terres une maison d’où il ne vit pas fumer la cheminée d’un voisin et vivre isolé, c’est-à-dire heureux. Les médiocres corps de ferme des Boers, qui n’ont rien conservé de la propreté hollandaise, sont entourés de quelques saules pleureurs ou parfois d’eucalyptus, puis de quelques arpens de terre où l’on cultive assez de grain et de pommes de terre pour nourrir la famille, rarement davantage. Des troupeaux de bœufs paissent sur tout le reste de la propriété. L’hospitalité des Boers, qu’ils accordent d’ailleurs volontiers, est aussi peu luxueuse que grave : du mauvais tard et du café détestable, voilà tout ce qu’on peut trouver chez eux.

Ils ont souvent deux ou trois fermes : l’une sur le haut plateau, l’autre sur les terres mieux arrosées du sud-est ou sur les croupes qui descendent vers le nord, dans le Bushweld, couvert