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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/853

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durable. C’est pourquoi il ménage tous ceux qui sont soumis à la puissance anglaise ; il traite bien les noirs du Cap, quoiqu’il ait mené avec une brutale énergie l’expédition du Matabeleland ; il traite bien les Boers de la Colonie quoiqu’il ait essayé de s’emparer du pays de leurs frères du Transvaal ; et ces Boers du Transvaal eux-mêmes, il les eût traités avec équité et même bienveillance une fois soumis. Mais eux préféraient leur indépendance, et veulent la défendre à tout prix ! C’est ce que ne prévoyait peut-être pas M. Rhodes : les Anglais semblent toujours un peu surpris que tous les peuples du monde n’acceptent pas avec joie leur domination.

Mais le premier ministre du Cap avait vu que les Boers étaient encore malgré tout l’élément, essentiel et, comme disent les Anglais, the back-bone, l’épine dorsale, de la colonisation européenne de l’Afrique du Sud. La compagnie à Charte a favorisé de tout son pouvoir l’établissement de Boers dans ses territoires au nord du Transvaal. C’est que, non seulement dans les deux républiques, mais aussi au Cap et même à Natal, en dehors de la zone semi-tropicale où des planteurs anglais font cultiver le sucre ou le thé par des engagés hindous, les fermiers hollandais forment la grande majorité de la population rurale. Ce sont de médiocres agriculteurs. très nonchalant. Mais enfin sans eux les Anglais auraient trouvé tout le pays au nord du fleuve Orange dans le même état que les territoires de la compagnie à Charte, c’est-à-dire dévasté par les guerres entre des tribus sauvages ; grâce à eux aussi, Johannesburg n’est pas au régime des viandes conservées comme Buluwayo et Fort-Salisbury ; et la nourriture y est à des prix abordables. Ce sont d’admirables pionniers que les Boers ; ils contribueront sans doute en grande partie à peupler le Matabeleland et le Mashonaland.

Déjà quelques-uns d’entre eux sont parvenus bien plus loin. jusque dans Angola et l’Afrique du sud-ouest allemande : plusieurs centaines de familles boers parties du Transvaal en 1875, sous le commandement de Louis du Plessis, après avoir perdu nombre des leurs dans les marais du Ngamiland, arrivèrent, après sept ans d’une marche rappelle celle des Israélites dans le désert, aux possessions portugaises de la côte ouest et s’y établirent ; plusieurs passèrent plus tard dans la colonie allemande. Si l’on pouvait décider quelques-uns de ces rudes pasteurs à faire la traversée de trois jours qui sépare Delagoa-Bay de Madagascar, et les établir sur les hauts plateaux de l’île, ils formeraient une admirable race de colons acclimatés. Ils sont prolifiques, car les 27 000 blancs d’origine franco-hollandaise qui se trouvaient au Cap lorsqu’il y a quatre-vingt-dix ans les Anglais s’en emparèrent, ont aujourd’hui