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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/858

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Plus touchant encore et plus humain fut peut-être le deuil de Pétrarque. Avignon lui fut plus cruelle que Toulouse n’avait été à Cavalcanti, et Monna Vanna donna sans doute plus de joie à Guido que Laure de Noves ne donna d’espoir à Messer Francesco. L’exaltation maladive de Dante transforma et rasséréna son inconsolable amour. Béatrice, couchée dans sa tombe de vierge, lui parut plus adorable encore : elle était toujours vivante, non seulement en son cœur, mais dans la région angélique où montaient ses songes, où il voyait passer, avec un sourire très pur, le blanc fantôme de sa maîtresse. Béatrice transfigurée, vision de lumière, n’était plus la Florentine que l’adolescent avait aimée et désirée, mais une âme charmante et sacrée à laquelle n’allaient plus les désirs du poète, mais ses sanglots et ses prières. Laure de Noves ne prodigua point à Pétrarque la volupté mystique qui berça les souffrances de Dante. C’était une jeune femme qu’il rencontrait aux églises d’Avignon, dont il souhaitait passionnément les tendresses, dont il célébra les charmes, « les beaux yeux, la belle bouche digne d’un ange, pleine de perles, de roses et de douces paroles » : ce n’étaient point là entités métaphysiques ; mais la dame était mariée, et, lui, il était homme d’église ; la dame fut dédaigneuse ou prudente et, lui, timide, n’osa point être trop pressant. Il écrivit des vers sonores, supplia, offrit son cœur et ses rimes, voyagea, revint, sollicita de nouveau, fit pleurer les plus douces cordes de sa lyre, toujours vainement. Les années s’écoulaient, et cette passion irritante, désespérée, alla fiévreusement jusqu’aux jours que Pétrarque appelle l’automne de la vie, « alors que l’amour s’apaise dans la chasteté et qu’il est permis aux amans de s’asseoir l’un près de l’autre et de converser sans péril. » Il n’est même pas très sûr qu’il ait jamais goûté, déjà vieillissant, à ce charme mélancolique d’arrière-saison. Puis, Laure mourut et le poète ensevelit dans les plus beaux de ses sonnets un amour que n’avait jamais réjoui même la caresse d’un sourire.

Boccace put ajouter, à toute cette lyrique inquiétante, les confidences intimes de son ami Pétrarque. Les deux pâles amoureuses de la Divine Comédie, Francesca da Rimini et la Pia de Tolomei, ont peut-être glissé plus d’une fois, toutes blanches, près de son chevet, aux heures les plus heureuses de ses nuits napolitaines. L’Italie lui criait, par la bouche de ses plus grands poètes comme par la chronique de ses familles tragiques, que l’amour est une torture, un mal divin, un accès de démence. Il était trop parfait artiste pour penser que le grand amour, celui dont les amans peuvent mourir, se rencontrât en ses contes galans relevés de libertinage gaulois et de luxure italienne ; il aimait trop sincèrement le spectacle multiple de la vie pour