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et, une fois réchauffé, il s’en ira pour ne revenir jamais. Il se coucha donc près d’elle, avec un grand respect, et, « recueillant en sa pensée le long amour d’autrefois et la dure indifférence de l’heure présente, il étouffa son souffle, serra les poings, et, sans faire un mouvement, rendit l’âme aux côtés de sa bien-aimée. »

— Eh ! Girolamo, pourquoi ne t’en vas-tu point ? » Salvestra ne tarde pas à comprendre que son amoureux ne se réveillera plus. En une situation si extraordinaire, la fille de Florence ne demeure pas longtemps embarrassée. Elle éveille son mari et lui soumet le cas de conscience, « comme s’il s’agissait de personnes étrangères ? » Que fallait-il faire ? Le bonhomme répond que l’on devait rapporter en secret le mort à sa maison, sans blâmer la femme, car, dit-il, je vois bien qu’elle n’a point failli. Alors Salvestra : « Voilà justement ce que nous allons faire. » Et, prenant la main de son mari, elle lui fait toucher le mort. L’autre, légèrement troublé, se relève, allume une lampe, et, sans une parole de reproche ou de méfiance, rhabille Girolamo, le charge sur ses épaules et va le déposer au seuil de la maison maternelle. Le matin venu, le cadavre fut remis aux médecins qui n’y trouvèrent aucun signe de violence, puis on le porta à l’église. « Et alors, la mère douloureuse, avec les femmes de sa famille et les voisines, vint pleurer et se lamenter sur son fils mort. » En même temps, notre tisserand invitait Salvestra à se rendre aux funérailles, afin d’écouter, parmi les femmes, les propos tenus sur le mystérieux événement, tandis que lui-même il entendrait les discours des hommes. Il plut à la jeune dame, devenue trop tard compatissante, de revoir mort celui qu’elle n’avait pas voulu consoler vivant par un seul baiser : elle se rendit à l’église. Mais à la vue du visage pâle de Girolamo, tous les souvenirs, toutes les tendresses de leur enfance se ranimèrent en elle ; la tête couverte de son manteau, elle marcha à la suite des autres femmes jusqu’au lit funéraire et, poussant un cri terrible, se laissa tomber, les bras ouverts, sur le corps de son jeune ami. Quand on la releva, « on vit en même temps qu’elle était la Salvestra et que la Salvestra était morte. Et alors toutes les femmes, vaincues par une double pitié, jetèrent dans l’église une lamentation encore plus haute. » Cependant le pauvre mari, tout en larmes, contait à l’assistance l’histoire de la dernière nuit. On coucha Salvestra, ornée de la parure des mortes, aux côtés de Girolamo ; les prêtres vinrent prier autour du couple infortuné, et « la même sépulture reçut pour l’éternité les deux amans que l’amour n’avait point unis sur la terre. »

Je trouve, en ces petits romans, une sorte de morbidezza italienne dont le charme est assez pénétrant. Langueurs, chagrins,