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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/921

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Il peut paraître étrange que la « découverte » de la nature, célébrée comme une des grandes conquêtes littéraires et sentimentales du XVIIIe siècle, ait été si lente à faire sentir ses effets sur la peinture. Jean-Jacques Rousseau, depuis longtemps, avait ouvert les yeux de ses contemporains sur « l’or des genêts et la pourpre des bruyères, la majesté des arbres, l’étonnante variété des herbes et des fleurs » que dans ses promenades solitaires il foulait sous ses pas. Bernardin de Saint-Pierre, après lui, s’étonnant de la pauvreté pittoresque de la langue, avait demandé qu’on inventât des termes et comme des tours nouveaux, pour « l’art nouveau de rendre la nature » ; il avait en quelque sorte frayé la voie aux peintres en analysant curieusement les variétés et combinaisons de formes que peuvent affecter les sommets ou les flancs des montagnes, la gamme infiniment nuancée de subtiles couleurs et de changeans reflets qu’un souffle d’air déplace et fait jouer à la surface des nuages ou des eaux... Les peintres, absorbés par d’autres contemplations, semblaient n’avoir pas compris. L’étude des plâtres antiques, le culte de la ligne sévère, étaient, pour eux, depuis David, la grande affaire et l’unique pédagogie. « Je ne vous dis rien du paysage, — écrivait dédaigneusement, en 1796, un esthéticien de la nouvelle école, l’auteur des Lettres critiques et philosophiques sur le Salon ; — c’est un genre qui ne devrait pas exister. »

Pourtant, à y regarder de plus près, on pourrait suivre, dés le dernier tiers du XVIIIe siècle chez quelques peintres, du second ou du troisième ordre il est vrai, tous plus ou moins élèves de Joseph Vernet, les premiers effets du sentiment nouveau. Pour établir la part exacte de chacun, il faudrait retrouver, grouper et comparer leurs œuvres aujourd’hui éparses, et se donner beaucoup de mal sans pouvoir espérer d’être payé de ses peines. Que valaient ces Vues de la forêt de Fontainebleau ou de Montmorency, ces Intérieurs de ferme, ces Granges ruinées que le soleil éclaire à travers plusieurs solives, ces Effets de soleil couchant, tous ces paysages « agrestes » que l’on voit se multiplier aux Salons de 1789, 1791, 1793, signés des noms de Didier-Boguet, Gillion, Cazin, Bruandet, etc. ? Avant eux, quelle place faudrait-il décidément accorder à ce mauvais sujet de Lantara, mort à l’h6pital en 1778, quelques semaines après Jean-Jacques Rousseau ? Les Couchers de soleil, les Effets du soir et du matin qu’il allait paresseusement contempler dans la banlieue de Paris et dont il rapportait d’inégales études, témoignent, par la limpidité et l’harmonie de leurs perspectives aériennes, d’une finesse d’œil dont on retrouverait encore, sous la maigreur de la facture, la vertu efficace. Les Vues,