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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/925

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élève. Que savait celui-ci et de quoi était-il capable quand il franchit pour la première fois le seuil de son maître ? que valaient ces études faites au Bois-Guillaume près de Rouen (où il avait été boursier au lycée impérial), plus tard sur la berge de la Seine, au bout de la rue du Bac, tout près du magasin de modes de sa mère, sous les yeux des jeunes ouvrières curieuses de voir peindre monsieur Camille » ? Nous ne saurions le dire. On peut présumer en tous cas que ce qu’allait chercher ce jeune homme dans ses premiers tête-à-tête avec la nature, ce n’étaient pas des paysages historiques ; « l’innocente clarté du jour » avait ravi ses yeux ; un instinct mystérieux l’attirait vers ce qui « devait faire à jamais le charme de sa vie. »

Michallon, dès ses premiers essais, le jugea capable d’aller sur le terrain et lui donna pour tout viatique le conseil « de bien regarder la nature et de la reproduire naïvement avec le plus grand scrupule. » Corot avait conservé le plus reconnaissant souvenir de ce maître qui fut pour lui un camarade et un ami : avec sa nature enthousiaste et simple, prompte à la confiance et à l’abandon, son empressement à écouter et à provoquer les conseils, il profita beaucoup en peu de temps. Parmi les plus anciennes esquisses retrouvées dans son atelier, je remarque à côté d’Études de toits et cheminées à Montmartre, des Vues des Alpes au soleil[1] « copiées d’après Michallon » et de nombreuses Études de plantes et d’architecture également « copiées d’après Michallon. » Il devait malheureusement être bientôt privé de ce guide excellent ; à la fin de l’année 1822, Michallon mourut subitement, à peine âgé de 26 ans ;- et Corot se mit en quête d’un autre professeur.

Il alla chez Victor Bertin. C’était un des chefs reconnus de l’école ; il régnait sur le paysage classique ; l’histoire romaine et la Fable n’avaient pas de secrets pour lui. Le temps était loin où un critique l’auteur des Lettres d’un Danois sur la situation des

  1. Michallon avait fait en Suisse de fréquentes excursions. L’année de sa mort, il envoyait au Salon une Vue du Wellerhorn et de la Grande Scheideck. Il semble que dans leur admiration pour J-J. Rousseau-et aussi pour Gessner, dont Corot fut un lecteur assidu et fervent, — plusieurs jeunes peintres prirent, à la fin du XVIIIe siècle, la route jusqu’alors peu frayée de la Suisse et des Alpes. Corot y fit à son tour au moins deux voyages et en rapporte de charmantes études. Valenciennes lui-même, dans l’itinéraire qu’il trace au peintre paysagiste, l’autorise à rentrer dans son pays par la Suisse, mais seulement après avoir fait le tour du monde antique, de l’Egypte à l’Italie. J’ai relevé, dans un carton des Archives nationales, la note suivante de Vien au comte d’Angivilliers (1784) : « D’après vos intentions, j’ai vu ce matin Taunay, peintre paysagiste, et je lui ai renouvelé les avis que je lui avais donnés, i) y a six semaines, que je préférais, pour son avancement, le voyage d’Italie à celui de Suisse qu’il avait envie de faire. » Le conseil fut suivi ; en 1791, Taunay exposait une Vue du lac de Némí.