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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/934

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Marcoussis comme à Castel-Gandolfo, à Ville-d’Avray comme au lac de Garde, au pont de Mantes comme au pont Saint-Ange, à la Rochelle comme à Civitta Vecchia, dans les saulaies de l’Artois comme dans les bois de chênes-liège de la campagne romaine, dans les rues des villages de Picardie ou de l’Ile-de-France comme sur les voies sacrées de la Rome antique, ce qu’il trouvait d’ailleurs, ce qu’il aimait, c’était encore et toujours la nature, et, dans cette nature, ce qui de plus en plus charmait ses yeux. c’étaient les accords délicats des choses dans l’air mélodieux. On a vu quel peintre d’architecture il avait été et quel parti il avait tiré de ces « fabriques » éclairées par les rayons obliques, dont la tradition lui était venue de l’école, et dont il avait fait, par la grâce de son génie, en les égrenant comme des notes de lumière, un des élémens de l’harmonie de ses tableaux. Il fit servir, dans les horizons plus voilés de la France septentrionale, les plus humbles chaumières, tapies dans la verdure ou étagées sur les coteaux modérés. À une même œuvre d’enchantement. Sans qu’on y sente jamais la « composition » la mise en place systématique, tout se dispose naturellement pour le plus heureux effet : les plus humbles motifs s’ordonnent dans un doux rayonnement pour la plus reposante satisfaction des yeux.

On a parlé de sa monotonie. On n’a donc voulu voir dans cette œuvre si variée que les seuls « brouillards argentés », le tableau type que le public adopta, que les marchands demandèrent. et qu’il fut entraîné à produire en ses dernières années, trop souvent et trop vite... Mais regardez ! Voici de claires matinées et de fins crépuscules. dont la mélancolie légère semble avoir retenu le meilleur et le plus apaisant de la lumière du jour ; voici des bords paisibles de rivière peints à côté de son cher Daubigny, dont les graves verdures s’enlèvent largement sur le ciel moite et humide ; voici des chemins creux qui se perdent sous bois et gagnent sans se presser le village prochain, s’arrêtant devant une maison de garde, avec çà et là la surprise d’un rayon, l’aménité d’une note de lumière ménagée à quelque tournant, comme une invitation au repos et un appel ami ; voici des villages éparpillés dans la verdure et s’éveillant ou s’endormant comme au son d’une musique invisible : voici le Pont de Mantes, — hélas ! parti pour l’Amérique d’où les chefs-d’œuvre ne reviennent plus, — aussi noble en sa lumière virginale que les viaducs de Rome et combien plus charmant que le pont de Narni ! — voici la Rochelle, le blond chef-d’œuvre, la perle précieuse, claire et discrète, transparente et profonde, si française et si belle sous les caresses du ciel natal ! Voici, enfin, des intérieurs de bois, des clairières au crépuscule