Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il importe surtout, quel que soit l’outil ou l’instrument dont on dispose pour traduire son rêve, d’éveiller dans l’âme des spectateurs des impressions équivalentes, où le souvenir de la réalité revienne fidèle et épuré dans une sereine contemplation. Il fut un idéaliste : avec la vision du monde, il fit passer en nous le lyrisme charmant dont ce spectacle avait ravi son cœur.

Aussi son œuvre continue-t-elle de s’offrir comme un abri délicieux, un rendez-vous de repos et de fraîcheur dans l’aridité de la route. Toutes les plus caressantes mélodies de la nature y ont été captées pour notre usage par un génie bienfaisant et fraternel. Rien de forcé, rien de faux surtout ni de violent. Il semble n’avoir connu de la vie que les heures sereines, ou du moins, quelle qu’ait pu être l’amertume des temps difficiles, n’en avoir emporté que des souvenirs apaisés. Peut-être, s’il est vrai que rien ne nous rende si grand qu’une grande douleur, serait-on tenté de dire parfois que cette consécration suprême lui fit trop défaut. Ne nous en plaignons pas ! Il était bon pour notre temps, où l’art a été le confident de tant de tristes secrets, qu’un homme se trouvât et qu’une œuvre parût en qui tout fût lumière, sérénité, harmonie. Corot a travaillé la chanson aux lèvres ; ses sens comme spiritualisés, son âme divinement légère et naïve, auront reflété, pour la consolation de la pauvre humanité, un monde où tout semble proclamer que la création fut un acte d’amour, et où rien ne pèse plus de la colère du Créateur ni du repentir de la faute.


ANDRÉ MICHEL.