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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/823

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I

Une des conséquences de cette plus-value des terres, qui rond leur possession plus précieuse et leurs propriétaires plus exigeans, plus attentifs à en recueillir tous les produits, à en tirer tout le parti qu’elles comportent, c’est la difficulté sans cesse croissante, pour le manant non propriétaire, de conserver intacts, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les avantages que lui procurait jadis la jouissance des droits d’usage et de vaine pâture. Ces droits dont nous avons, dans le précédent article, fait connaître la nature et déterminé l’étendue, constituaient de vrais supplémens de gages. On ne doit évidemment pas en exagérer l’importance, surtout pour le simple journalier. Le temps que le « pauvre homme de labeur » ou le « laboureur à bras » passe, dans la forêt commune, à abattre, fagoter, charroyer du bois pour son hiver, est à déduire des 250 jours ouvrables qui composent son salaire annuel. De même s’il conduit sa vache, ses brebis, aux pâturages banaux. Il n’en est pas moins vrai que, dans un cas comme dans l’autre, à ce rural qui vient au monde dénué de tous biens, ou à peu près, qui ne doit compter pour vivre que sur l’effort de ses bras, la société garantissait une participation à la propriété foncière, qu’elle lui donnait gratis l’herbe et le bois.

Certes, pour profiter de ces avantages, la famille champêtre devait dépenser une certaine somme de travail ; mais elle est ici dans le cas de tous les détenteurs d’un petit lopin qui le font valoir eux-mêmes ; au salaire de l’exploitant elle joint la rente du sol. « Cette province étant presque toute en bois, disent au roi en 1614 les États de Normandie, les meilleurs et les plus assurés revenus qu’aient les supplians sont les usages et droits de chauffage qu’ils ont dans lesdites forêts, ce qui les aide à nourrir leur famille… » Dans un procès au parlement de Paris (1628), où les défendeurs étaient un lot de campagnards riverains d’une forêt royale, qui avaient loué des bestiaux à cheptel et les nourrissaient au moyen du droit de pacage, l’avocat général Talon, concluant au nom du parquet en faveur de ces paysans contre l’administration forestière qui prétendait interdire cette pratique, s’écriait avec véhémence : « Cela va contre la liberté publique ! Il n’y a ordonnance ni règlement qui autorise cette rigueur ; au contraire ce serait priver le pauvre peuple de son vivre et le réduire à la mendicité ; d’autant que, chargés de tailles et impôts, ils n’ont d’autre substance que les pâtures, et il est raisonnable de leur donner moyen de subsister selon le lieu de leur demeure ! »