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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/118

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temps en temps, et voilà tout. Je ne souffre plus et n’ai besoin que de repos. — En conséquence, je travaille toujours.

Il est bien vrai que l’âme est plus libre lorsque la pesanteur des repas ne l’écrase pas de ses lourdes fumées intérieures. Il n’y a que Brahma et Bouddha qui l’aient compris. Les Indous regardent comme un crime de manger tout ce qui a eu la vie, et ils meurent de faim quand le riz leur manque, plutôt que de boire le sang des animaux, comme nous faisons en mangeant leur chair. Aussi sont-ils récompensés de leur foi sincère et aveugle par des incarnations successives, qui leur font espérer à tous de revivre sous la forme bienheureuse d’un éléphant blanc.


Samedi 13 décembre.

L’ennui de parler de moi m’a donné un nouvel accès de silence. Il faut me le pardonner. Songez un peu à rapprocher les dates et vous trouverez que, tandis que vous pleuriez auprès de votre bonne mère, on pleurait auprès de moi. Du 4 septembre au 3 octobre on me croyait en danger. Souvenez-vous que Lydia devient presque aveugle et que c’était pour moi une affreuse pensée que de ne pouvoir plus la distraire par des lectures ou des conversations enjouées sur des choses indifférentes et mondaines. Il m’était défendu de parler et de recevoir. Je ne peux penser à moi au point de faire la moindre absence de chez moi. — Il faut toujours que les meilleurs domestiques du monde, comme sont les miens, dont je suis content, soient sous l’œil du maître, qui est forcé de remplacer, hélas ! les yeux de la maîtresse dont l’un est éteint et dont l’autre se ferme.

La seule consolation que j’aie reçue est dans mon invincible habitude de l’étude. Plus elle est abstraite et plus elle m’absorbe et me fait oublier mes chaînes. Ajoutez à cela que je n’aime et ne supporte guère en fait de nourriture que le pain et l’eau, et vous aurez un prisonnier parfait. Je me serais parfaitement trouvé du régime du Masque de fer.

Vos huîtres m’ont fait mal, six étaient pour moi une orgie. Je ne tenterai plus ce régime. A présent je dis à tous mes savans docteurs de Paris : « Il n’y a rien de ce que vous m’avez ordonné qui ne m’ait fait mal. Bismuth, belladone, laurier-cerise, eaux de Vichy, eaux de Bussang, liqueur jaune (et infernale), de la Grande-Chartreuse, etc., tout m’a blessé et déchiré dans ce qui était intérieur, tout à l’extérieur a été inutile. Une seule chose