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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/632

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suggestifs. Une rangée de coteaux le long d’une rivière française est exactement semblable à une autre; un détour de ravin dans la Forêt-Noire est justement l’autre détour vu de l’autre côté. Mais dans tout le parcours de la Tweed, du Teviot, du Gala, du Tay Firth, de la Clyde, il n’est peut-être pas un morceau de ravin ou un coin de vallée que ses habitans ne puissent distinguer de tout autre. Il n’y a pas d’autre pays où les racines de la mémoire soient à ce point associées avec la beauté de la nature au lieu de l’être avec l’orgueil des hommes. » Et alors on se demandera s’il ne faut pas que cette beauté soit la grande préoccupation du patriote, comme elle a été sa grande éducatrice. Car peu importe ce qu’on fait pour perpétuer l’idée de patrie, si l’on ne perpétue pas la figure aimée de la patrie. Ce n’est pas en semant des statues qu’on récolte des hommes. C’est en respectant les pierres non taillées du sol natal. « Chez les enfans de noble race, formés par l’art ambiant et en même temps à la pratique des grandes actions, il y a un intense plaisir dans le paysage de leur pays en tant que mémorial, un sens qu’on ne leur enseigne pas plus qu’ils ne peuvent l’enseigner aux autres, mais en eux inné, et le sceau et la récompense de la persistance dans une grande vie nationale, — l’obéissance et la paix des âges ayant graduellement étendu la gloire des ancêtres vénérés jusqu’au pays ancestral et jusqu’à la terre maternelle. Le mystère de la Demeter dont nous venons et à laquelle nous retournons, entoure et inspire partout l’horreur sacrée des champs et de la fontaine, le caractère sacré de la borne du champ que personne ne peut déplacer et de la vague que personne ne peut souiller, tandis que les souvenirs des jours fiers et des personnes chéries mettent sur chaque roc qu’ils rendent ainsi monumental une inscription invisible et font chaque sentier aimable par sa noble solitude. » Et peut-être qu’après avoir pensé tout cela, il ne sera pas absurde de sentir avec toute la force de notre jeunesse « qu’une nation n’est digne du sol et des paysages qu’elle a hérités, que lorsque par tous ses actes et ses arts elle les rend plus beaux encore pour ses enfans ! »

Enfin, si après avoir étudié partout les effets de la Nature et de la Beauté sur l’âme humaine, on s’élève jusqu’à la question des causes de cette Nature et de cette Beauté, là encore devra intervenir l’enquête esthétique. Et rien sur les grands problèmes qui touchent l’âme ne pourra être décidé sans que cette science dont le domaine est une partie de l’âme soit consultée, rien sans que