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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/664

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économique, ne puisse être d’aggraver d’abord l’opposition entre employeurs et employés, le nombre de ceux-ci augmentant, et le nombre de ceux-là diminuant sans cesse? Nous ne l’oserions. Tombant sous la dépendance croissante de ceux qui le paient, l’ouvrier trouvera sans doute au commencement sa liberté restreinte et son initiative affaiblie, tandis qu’à l’autre extrémité de l’échelle, les maîtres de l’industrie verront s’élargir leurs pouvoirs et grossir leurs gains aux dépens de la communauté. Mais ce sont là les conséquences des abus du régime, abus qui peuvent et doivent disparaître à mesure que le mouvement industriel se régularisera, et à certains signes nous pouvons déjà espérer voir un jour les distances se rapprocher et les rapports se détendre entre les capitalistes et les travailleurs. Les bénéfices exceptionnels des premiers diminueront avec l’abaissement du prix de vente des produits, les avantages du régime se concentrant ainsi sur le public; la propriété industrielle, gagnant en sécurité, se divisera entre un nombre de mains de plus en plus grand ; enfin les organisations ouvrières sauront mieux assurer l’indépendance de leurs membres vis-à-vis du patron. D’autre part, l’exemple des syndicats industriels peut-il logiquement autoriser les socialistes à prétendre que, dans la société future, la réglementation de la production sera non seulement possible, mais facile aux mains de l’État? L’assimilation de celui-ci à ceux-là est-elle légitime, serait-ce partout chose aisée que la substitution proposée? C’est ce qu’on ne peut soutenir sans négliger au moins deux facteurs essentiels du problème, deux données pratiques qui feraient nécessairement défaut au socialisme : j’entends l’intérêt privé qui préside aujourd’hui à l’administration des syndicats, et cette forme de la concurrence, virtuelle et latente, qui régularise aujourd’hui le marché de chaque denrée. — On voit qu’il est impossible de tirer à l’heure présente du mouvement centralisateur de la production un présage en faveur de l’étatisme industriel, et qu’à meilleur titre on pourrait y voir un gage à l’acquit du libéralisme économique. Concurrence et association resteront toujours les deux grands principes du travail social. Vouloir se passer de l’une ou de l’autre est chimérique ; prétendre assujettir l’une à l’autre est illusoire; la vérité est qu’il faut concilier l’une et l’autre en les adaptant aux conditions de chaque temps et de chaque lieu.


LOUIS PAUL-DUBOIS.