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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 139.djvu/669

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II

C’est alors que quelques-uns d’entre nous s’enhardirent à regretter tout haut la vieille foi chrétienne. Un mouvement de sympathie se forma peu à peu dans les âmes en faveur de ce culte, qui avait si longtemps distrait et consolé la souffrance profonde de l’humanité. Personne ne songeait encore, en vérité, à rappeler Jésus de l’exil, pour l’installer de nouveau sur son trône divin. L’orgueil nous en retenait, à moins que ce ne fût la faiblesse. Mais à défaut de la personne du Christ, que nous nous figurions à jamais perdue, sa doctrine nous restait, la doctrine sublime qui. bien mieux que toutes les sciences et toutes les philosophies, avait jadis montré aux hommes la voie du bonheur. Nous lui offrîmes notre amour, comptant bien qu’en échange elle nous guérirait de nos maux. Et de même qu’autrefois Renan s’était chargé de ramener en Galilée le Dieu dont nous étions las, ce fut un autre poète, le comte Léon Tolstoï, qui prit sur lui de nous ramener ce Jésus nouveau, un Jésus pour ainsi dire impersonnel et abstrait, qui n’était plus d’aucun temps ni d’aucun pays, un pur esprit de justice et de charité.

Il le ramena et nous le présenta, avec une haute éloquence qu’on ne peut avoir oubliée. La flamme des anciens apôtres semblait s’être rallumée en lui. « Il n’y a d’important pour moi, disait-il, que cette lumière qui depuis dix-huit cents ans éclaire les hommes. Mais de savoir quel nom je dois donner à la source de cette lumière, d’où elle a jailli, et dans quelles circonstances, de cela je ne m’occupe en aucune façon. Je cherche une réponse au problème de la vie, et non pas à une question théologique ou historique; et voilà pourquoi il m’est indifférent de discuter si Jésus-Christ était bien tel que nous l’ont montré les évangélistes. Qu’ai-je à faire de la façon dont il est né, dont il a été élevé, dont il a vécu et dont il est mort? N’est-ce pas assez pour moi que sa doctrine soit la seule qui donne un sens à ma vie[1]? »

Aussi, dans cette singulière Traduction des Evangiles qui est en quelque sorte sa Vie de Jésus, nous prévient-il dès le début qu’il a omis à dessein « tous les passages ayant trait aux points que voici : la conception du Christ, sa naissance, sa généalogie, la fuite

  1. Léon Tolstoï, les Évangiles, traduction française, 1 vol.; Perrin, 1895.