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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/457

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d’héroïsme, devait approcher la foule et la dompter. Ce n’est pas lui qui dira jamais de sa muse :


Non, non : je l’ai conduite au fond des solitudes
Comme un amant jaloux d’une chaste beauté.
J’ai gardé ses beaux pieds des atteintes trop rudes
Dont la terre eût blessé leur chaste nudité.
J’ai couronné son front d’étoiles immortelles,
J’ai parfumé mon cœur pour lui faire un séjour,
Et je n’ai rien laissé s’abriter sous ses ailes
Que la prière et que l’amour.


Il est vrai qu’on ne se figure pas très bien la muse de M. Bruneau. Entre nous je doute qu’il en ait une. Ridiculus mus, eût dit ce démon d’Henri Heine. L’Attaque du moulin renfermait pourtant certaines pages presque inspirées. Hélas ! elles n’avaient pu faire oublier le Rêve. Elles en laissaient craindre le retour. Est-ce donc le Rêve qui revient aujourd’hui ? Je ne dis pas cela, car on ne retrouve pas dans le troisième ouvrage de M. Bruneau l’originalité, l’affreuse originalité du premier.

Au musicien comme au librettiste on a demandé ce qu’il a voulu faire. Abondamment aussi le musicien a répondu. M. Bruneau a voulu « unir aussi intimement que possible la musique au poème… et, par le moyen des sons, dessiner de manière très différente les six personnages de ce poème, chantant les uns et les autres selon la logique de leur caractère, selon la vérité du drame. A l’aide des multiples couleurs instrumentales, mettre ces personnages dans l’atmosphère changeante des quatre saisons de l’année en lesquelles se passent les quatre actes de la pièce, et mêler ainsi la voix mystérieuse et puissante de la nature au cri de passion et d’espérance que jette toute âme humaine. » M. Bruneau a voulu encore, — ceci est le ballet, — « laisser le geste vague des pantomimes et des danses élargir jusqu’au-delà de l’imagination le lumineux symbole. » Et il a voulu enfin « écrire librement, sans souci des querelles d’école, une partition d’indépendance et de franchise. » Autant de volontés, ou de volitions, très louables, mais qui ne laissent peut-être pas d’être assez communes. De tout cela qui donc, je vous prie, voulut, veut ou voudra jamais le contraire ? Imagine-t-on un musicien qui s’efforcerait, et se vanterait surtout, d’opposer la musique au drame ou seulement de l’en séparer, de faire chanter pareillement les personnages divers, de ne point associer à l’humanité la nature et d’écrire enfin, épousant telle ou telle querelle, une partition de servitude et de déloyauté ?

Voilà pour le dessein général du compositeur. Mais il n’est pas