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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/463

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REVUE LITTÉRAIRE

LA POESIE DE HENRI HEINE
D'APRES UN LIVRE RECENT

La question s’est posée il y a quelques années de savoir si l’on devait élever à Mayence un monument en l’honneur de Henri Heine ; un écrivain de là-bas, M. Fischer, imagina de recueillir sur ce grave sujet l’avis des plus considérables entre ses compatriotes, et ouvrit dans la Gazette de Francfort une de ces enquêtes qui sont comme un appel à la sottise des gens d’esprit. Les choses se passèrent tout à fait comme elles se passent chez nous : les réponses furent saugrenues autant qu’on le pouvait souhaiter. M. Fischer les a réunies en volume[1] : si les publications de ce genre parviennent à la postérité, elles porteront de nous un témoignage cruel. Ce qui ressort de cette consultation, c’est que Henri Heine ne peut avoir une statue en Allemagne, d’abord parce qu’il a trop médit des Allemands, mais surtout parce qu’il était juif. D’autre part, il est peu probable que nous dressions le buste de l’exilé sur quelqu’une de nos places publiques ; une plaque satisferait le zèle de ses plus fervens admirateurs. C’est ainsi que la destinée du poète continue, en dépit de la mort, d’être pareille à elle-même : son ombre reste incertaine et errante : pour avoir eu deux patries, il n’en a pas une. Je ne doute pas que cette mésaventure posthume ne le chagrine : il était vaniteux à la manière des poètes ; il avait, comme tous les railleurs, une susceptibilité ombrageuse. Mais la vraie façon d’honorer les poètes, ce n’est pas de leur ériger des

  1. Heinrich Heine im Licht unserer Zeit. 1 vol. ; Munich.