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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/534

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valoir le nombre aux yeux du Roi ? Toutes ces choses sont trop connues pour que nous ayons à y revenir. Nous voulons seulement rechercher, dans cette vie aux faces multiples, l’origine des relations qui devaient le faire pénétrer à la cour, et le conduire à une faveur bientôt suivie d’une si éclatante disgrâce.

Écoutons d’abord le témoignage de Saint-Simon, non pas pour y ajouter foi, — car plus on lit et plus on contrôle ses immortels Mémoires, plus aussi on sent croître en soi, avec l’admiration pour le peintre, la méfiance contre l’historien, — mais parce que son témoignage a été trop souvent invoqué pour qu’il soit possible de le passer sous silence. S’il fallait en croire Saint-Simon, « Fénelon étoit un homme de qualité qui n’avoit rien, et qui, se sentant beaucoup d’esprit, et de cette sorte d’esprit insinuant et enchanteur avec beaucoup de talent, de grâces et du savoir, avoit aussi beaucoup d’ambition. Il avoit frappé longtemps à toutes les portes, sans se les pouvoir faire ouvrir. » Piqué contre les jésuites « où il s’étoit adressé d’abord comme aux maîtres des grâces de son état », il se serait ensuite tourné vers les jansénistes « pour se dépiquer, par l’esprit et la réputation qu’il se flattoit de tirer d’eux, des dons de la fortune, qui l’avoit méprisé. » Puis, espérant mieux « ailleurs qu’avec gens avec qui il n’y avoit rien à partager que des plaies », à force de tourner autour de Saint-Sulpice il serait parvenu à y former une liaison qu’il cultivait avec grand soin. « Sa piété qui se faisoit toute à tous, et sa doctrine qu’il forma sur la leur en abjurant tout bas tout ce qu’il avoit pu contracter d’impur parmi ceux qu’il abandonnoit, les charmes, les grâces, la douceur, l’insinuation de son esprit, le rendirent un ami cher à cette congrégation nouvelle, et lui y trouva ce qu’il cherchoit depuis longtemps, des gens à qui se rallier et qui pussent et voulussent le porter… C’étoit un esprit coquet qui, depuis les personnes les plus puissantes jusqu’à l’ouvrier et au laquais, cherchoit à être goûté et vouloit plaire, et ses talens en ce genre secondoient parfaitement ses désirs. » Beauvilliers, en peine de choisir un précepteur pour le duc de Bourgogne, se serait adressé à Saint-Sulpice, où il se confessait depuis longtemps. Il y avait déjà ouï parler de Fénelon avec éloge. « Ils lui vantèrent sa piété, son esprit, son savoir, ses talens ; enfin, ils le lui proposèrent. Il le vit, il en fut charmé, il le fît précepteur[1]. »

  1. Mémoires de Saint-Simon. Édition Boislisle, t. II, p. 338-341.