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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/552

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l’auteur des Pensées sur la Comète, n’est-ce pas un trait curieux et qui sent déjà son XVIIIe siècle?

Fénelon devait avoir souvent recours à ce procédé des apologues et des fables, autant pour l’éducation morale que pour le développement intellectuel de son élève. Il est à supposer que la direction de ses études lui fut laissée sans partage, l’abbé Fleury ne faisant que l’assister en sous-ordre. Beauvilliers n’était pas un lettré comme son beau-frère Chevreuse ; il dut s’en rapporter à Fénelon, au moins pour le côté intellectuel, car nous voyons par le mémoire de Louville que l’éducation des jeunes princes comprenait également la danse, l’escrime, l’équitation et la voltige. L’esprit auquel Fénelon avait affaire était remarquablement bien doué. « C’étoit, dit l’abbé Fleury dans le portrait qu’il en a tracé, un esprit du premier ordre : il avoit la pénétration facile, la mémoire vaste et sûre, le jugement droit et fin, le raisonnement juste et suivi, l’imagination vive et féconde[1]. » L’éloge pourrait sembler un peu hyperbolique, si la rapidité avec laquelle ses maîtres purent lui faire parcourir un cycle très étendu ne montrait que le sage Fleury n’a rien exagéré. Le Mémoire de Louville, complété par deux lettres que Fénelon adressait plus tard de Cambrai à l’abbé Fleury, nous apprend ce que l’éducation générale des jeunes princes comprenait et ce qu’elle excluait. Ce qu’elle excluait, c’était d’abord le grec ; c’était ensuite les langues vivantes, « ces princes-là ne voyageant jamais, et tous ceux qui viennent à la cour sachant parler latin ou français. » On comptait cependant un jour leur faire apprendre l’espagnol et l’italien. On ne voulait pas non plus qu’ils apprissent à jouer d’aucun instrument, parce que cela leur aurait pris trop de temps. Comme art d’agrément, la danse suffisait. On ne se souciait pas davantage qu’ils apprissent à faire des vers français, ni même des vers latins. On ne poussait guère loin les mathématiques, pour lesquelles on craignait que le duc de Bourgogne ne se passionnât. D’une façon générale, on écartait de leur éducation tout ce qui sentait la frivolité ou au contraire la pédanterie. « L’honnête homme est celui qui ne se pique de rien », avait dit La Rochefoucauld, et il semble que Louville se soit souvenu de cette maxime lorsqu’il écrivait : « On leur fait comprendre que rien n’est plus ridicule à un prince que de vouloir passer pour poète, pour grammairien,

  1. Portrait de Louis, duc de Bourgogne, puis Dauphin, p. 2.