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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/596

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sans doute, aussi, comme je l’ai dit, il était habile sans le savoir au profit de l’Église catholique en voulant en faire une église de « minorité », en voulant que, puisqu’elle n’était plus ni religion d’État, ni, en réalité, religion de la majorité des Français, elle eût les avantages d’une religion libre, non liée au pouvoir, populaire, usant de toutes les libertés, forcée par là, ne fût-ce que par la loyauté, et ç’aurait toujours été par la nécessité des choses, de les réclamer pour tous, et agissant ainsi en pleine indépendance sur les esprits et les volontés des masses. Cette transformation non du fond mais du rôle du catholicisme semblait tellement commandée pas les événemens et la marche des choses, que ç’a été cent fois depuis lors, la tentation des catholiques les plus sincères et les plus distingués, avec, seulement, des différences de degré qui ne sont guère que des différences de tempérament.

Seulement, si Lamennais, d’une part, semblait bien trouver pour le catholicisme la tactique à suivre désormais, d’autre part ne heurtait aucun dogme du catholicisme, il en contredisait absolument l’esprit. Une religion n’est pas seulement un ensemble de dogmes et de doctrines, elle est une réunion d’hommes ayant les mêmes tendances générales de conscience, d’intelligence, de volonté et même de tempérament. Or, depuis des siècles l’Eglise catholique était pour elle-même autoritaire, et, de plus, soutenait d’ordinaire les autorités établies, autres qu’elle. Elle aimait à dire que tout pouvoir vient de Dieu, le sien d’abord, ensuite ceux qui par leur durée, et quelle que fût leur origine, prouvaient qu’ils étaient un établissement véritable, tout humain sans doute, mais approuvé de Dieu. Il en résultait tout simplement qu’étaient catholiques, restaient avec plaisir dans cette Église, ou y rentraient, ou la voyaient d’un œil favorable et étaient comme des demi-catholiques, tous les esprits autoritaires, conservateurs, misonéistes, tous, ou à bien peu près. Il en résultait que l’Église catholique, abstraction faite de ses dogmes, était la réunion des tempéramens autoritaires. L’homme à nouveautés, le libéral, l’émancipateur, surtout le révolutionnaire, devenait tout naturellement un protestant hétérodoxe quelquefois, un libre penseur souvent, le plus souvent un catholique infidèle n’ayant plus de catholique que le nom. — A quoi Lamennais conviait donc l’Église catholique, c’était à renoncer d’abord à sa tradition historique, ensuite à ce qui était le fort, le vivace, le dévoué et le gros de son troupeau. C’est à quoi une église, pas plus qu’un parti, ne renonce. Elle est liée par