Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/648

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1]. Il est resté, sous le nom d’édit de gendarmerie[2], un des événemens de l’histoire intérieure de la Prusse.

Tant il est vrai que toute lutte entreprise contre la féodalité ramène presque nécessairement à l’imitation des modèles français. Les détracteurs de la centralisation française y devraient songer plus souvent. C’est sur le sol de la France, c’est par les efforts qui ont été tentés là, c’est par les idées qui ont rayonné de là, qu’a été détruite une organisation sociale, subie durant des siècles par toute l’Europe, et dont les traces sont loin d’avoir disparu : n’en subsistât-il que les rancunes qu’elle a laissées derrière elle.

La société européenne est plus solidaire qu’on ne pense, et, si, au temps du moyen âge, elle a senti cette solidarité dans l’uniformité du réseau féodal répandu sur toute sa surface, elle n’a pas pu s’y soustraire davantage dans la lutte entreprise de toutes parts pour passer de cet état social à un autre. Cette solidarité s’est imposée, bon gré mal gré, à ceux qui eussent voulu ne rien devoir à la France et qui lui ont dû, en dépit d’eux-mêmes, l’affranchissement du lien féodal et jusqu’aux procédés de cet affranchissement.

Nous avons une tendance aujourd’hui à réagir contre les excès de la centralisation; nous apprécions moins les effets bien faisans d’institutions qui furent assez fortes pour triompher du moyen âge ; et nous voudrions détruire, au profit du développement individuel, ce qu’elles ont donné de force en excès à l’État.

Mais il faut, pour juger plus sainement les choses, se reporter aux heures où la féodalité fut ébranlée, puis détruite. Les Allemands, qui, comme Stein, reportaient sur les institutions politiques de la France leur rancune et leur haine de patriotes vaincus, avaient beau parler de l’organisation anglaise, de la décentralisation, de l’affranchissement des forces et des initiatives individuelles : au début de ce siècle, à cette heure et sur ce terrain, décentralisation et féodalité, c’était tout un. Affaiblir, désarmer l’État moderne et centralisé, ne pas créer ses organes nécessaires — car c’est là qu’on en était en Prusse — c’était laisser la féodalité maîtresse de toutes les positions qu’elle détenait.

Dans un État où l’oligarchie conservait, sur tout ce qui dépendait

  1. Bornhak, Durchausfranzösisch, Geschichte des preussischen Verwaltungs-Rechts, III, p. 55. — Keil, Die Landgemeinde in den östlichen Provinzen Preussen’s.
  2. Édit du 30 juillet 1812.