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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/686

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nous est cher et sacré, que nous vous conjurons de rabattre de vos prétentions, de ne point forcer l’entrée des universités. Vous jouez à tout perdre. Nous admirons plus que personne votre aptitude à la science ; ce qui vous manque, c’est la préparation, ce sont les études préliminaires. On les fait dans les gymnases, et les gymnases allemands ne deviendront jamais des établissemens bi-sexuels ; c’est contraire à nos mœurs. Il faudra instituer partout des gymnases féminins, et vous serez tenues d’y entrer dès l’âge de douze ou quatorze ans. Saurez-vous à cet âge si vous avez une vocation décidée pour l’étude ? La plupart d’entre vous seront bientôt prises de dégoût et renonceront ; ce seront les plus heureuses. Les autres compromettront à jamais leur santé. La maladie du siècle est l’anémie, le marasme, cette fatale neurasthénie, dont toutes les classes dirigeantes et instruites sont profondément atteintes. Si la chlorose épouse le marasme, quels enfans mettront-ils au monde ? et que deviendra cette pauvre Allemagne ? »

Non seulement, continuent-ils, la santé des femmes sera détruite par ce funeste régime, leur âme y perdra ses qualités natives. — « Prenez-y garde, mesdemoiselles, dit un privat-docent de l’université de Berlin, M. Adolphe Lasson. Vivant comme elles vivent, les femmes nous sont jusqu’ici très supérieures, et en dépit de leur apparente dépendance, elles sont nos maîtres. Nous autres, pauvres hommes, condamnés à nous préparer de loin à l’exercice de notre profession, nous devons bon gré mal gré nous spécialiser de bonne heure, et nous sommes moins des hommes que des tranches d’hommes ; c’est vous qui par votre ouverture d’esprit et votre don d’universelle sympathie représentez l’homme intégral. Vous êtes capables de tout comprendre, de tout sentir et de ne prendre que la fleur de toute chose. Vous étiez le charme et la consolation de notre ennui. Si vous aviez le malheur de nous ressembler, que la vie serait triste ! Qu’elle serait vide ! Qu’elle serait grise ! »

Un autre professeur de Berlin, M. Karl Stumpf, a chanté le même air sur d’autres paroles : — Réfléchissez un peu, dit-il. Si nous exaucions vos vœux, il est hors de doute qu’il vous serait aussi facile qu’à nous d’obtenir de beaux et gras emplois. Mais considérez, je vous prie, que des joues pâles, des nerfs trop irritables, des yeux qui s’abritent sous des lunettes n’exercent qu’un faible empire sur le sexe masculin. Considérez aussi qu’un bonnet de docteur et la plus profonde érudition ne remplaceront jamais cette fraîcheur de la pensée et du sentiment, cette justesse instinctive dans la conception de la vie et du