Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec les érotiques latins qu’il simplifie encore, et écrit le Cantique des cantiques d’un étalon lettré.

C’est alors que la chaleur de son sang, l’insolence qui lui vient de son athlétique jeunesse, le pousse à écrire les Blasphèmes. Livre décidément retardataire ; non point même positiviste ou darwinien, mais athée avec une étonnante simplicité, et qui, si l’on met à part quelques réminiscences du poète latin Lucrèce, procède simplement du « libertinage » traditionnel des « esprits forts » de l’ancien régime, d’Assoucy ou des Barreaux, et reproduit, dans un autre style, l’impiété sans nuances des Helvétius et autres Naigeons. En sorte que l’anachronisme foncier de ce livre risquerait de nous glacer quelque peu, s’il n’était, bien plutôt que la manifestation d’une pensée, l’éruption d’un tempérament et l’explosion d’une rhétorique. Ce qui est intéressant ici, c’est le poète lui-même ; c’est son geste d’hercule tendant le caleçon à Dieu et à tous les dieux, son attitude de dompteur et de sagittaire, son allégresse de bon peintre et de bon versificateur à entrelacer, par groupes et par grappes antithétiques et pittoresques, les dieux et les déesses de toutes les religions, et à poursuivre leur dégringolade éperdue d’un claquement de strophes à triples rimes. Ce n’est pas la méditation d’un philosophe, oh ! non, mais l’ivresse de Salmonée qui, pour défier Jupiter, pousse ses chevaux et son char sur un pont d’airain retentissant et s’enchante de son propre tintamarre.

Et bientôt voici le poème de la Mer, premier annonciateur de sagesse. Car, sans doute, la mer est encore une « gueuse « dont le poète nous décrit symboliquement les faits et gestes dans un langage qui n’a rien de timide ; et les marins sont encore des « gueux », les gueux de la mer ; mais déjà M. Richepin leur pardonne sans difficulté d’être d’âme plus chrétienne que « les gueux de Paris ». Sa fraternelle sympathie pour ces hommes capables de « sacrifice » implique un état de pensée déjà supérieur au matérialisme, tout de même un peu court, des Blasphèmes ; et nous voyons bien qu’il a déjà consenti, dans son cœur, à écrire le Flibustier.

Rien ne s’y opposait : nulle part assurément, ni dans ses Caresses, ni même dans ses ingénus Blasphèmes, il n’avait commis le « péché de malice ». Il y a, et sans doute il y eut toujours en lui, sous l’insurgé, un bourgeois excellent, et un Arya sous le Touranien. Ses livres lyriques sont l’œuvre du Touranien, et ses drames ont été écrits par l’Arya ; et c’est très bien ainsi. Outre que le théâtre incline les plus fiers aux concessions, il est naturel de bouillonner à vingt ans et de s’apaiser passé la quarantaine.