Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/716

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lendemain les journaux publiaient les noms d’un certain nombre de parlementaires plus ou moins compromis.

Quatre surtout étaient plus spécialement désignés comme suspects. Pourquoi ceux-ci et non pas ceux-là? Il est difficile de le dire. Quoi qu’il en soit, les demandes en autorisation de poursuites formées par le juge d’instruction et par le parquet, jointes aux indiscrétions qui n’ont pas tardé à se produire, ont fait naître dans le monde politique et parlementaire une émotion extrêmement vive. On a assisté à des séances qui rappelaient à s’y méprendre celles d’il y a quatre ans. On a vu se dérouler à la tribune le long défilé des accusés ; — nous ne savons pas s’il a été bien long, mais il a paru tel ; — chacun apparaissait à son tour avec son caractère et son tempérament particuliers. Tous ont protesté de leur innocence, et quelques-uns l’ont fait avec un tel accent que la Chambre, en les écoutant, devenait de plus en plus inquiète et perplexe. L’un d’eux surtout, M. Rouvier, qui n’était pas au nombre de ceux contre lesquels une autorisation de poursuites avait été déposée, mais dont le nom avait été désigné dans les couloirs et dans les journaux, a remué la Chambre entière dans ses fibres les plus profondes par une puissance oratoire qui n’était pas un simple effet de l’art. Tout cela était pénible, émouvant, énervant, et peut-être inutile. Il est clair que la Chambre ne pouvait même pas songer à refuser la levée de l’immunité parlementaire quand elle était demandée par le parquet, et qu’elle ne pouvait pas davantage la prononcer quand elle ne l’était pas. M. le garde des sceaux a cru un moment — et bien à tort — qu’on pourrait en quelque sorte prendre au mot ceux qui consentaient, qui demandaient même à être poursuivis, allant au-devant d’une décision que la justice n’avait pas encore prise et que peut-être elle ne prendrait pas. M. le procureur général, consulté à ce sujet pendant une suspension de séance, a déclaré — et avec juste raison — qu’il ne prenait pas les gens qui s’offraient, qui se livraient, qui pour en finir sollicitaient eux-mêmes le droit de se justifier devant le juge d’instruction ou devant les tribunaux, mais seulement ceux contre lesquels des indices graves avaient été réunis. Le nombre des demandes en autorisation de poursuites est resté ce qu’il était : trois députés seulement. La Chambre a voté à leur égard la suspension de l’immunité parlementaire, de cette immunité qui, dans les circonstances habituelles, est pour les membres du parlement une sauvegarde et une garantie, mais qui, dans les circonstances exceptionnelles comme celles que nous traversons, devient pour eux le plus redoutable des dangers et les place très au-dessous des autres