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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/791

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va répandre sur les pieds du Sauveur ; ses yeux tristes, profonds, innocens, aimans mêlent encore à l’amertume de son repentir la douceur de son péché.

De hautes statures sont debout comme des sentinelles sur les faces des pylônes ; portraits véritables, et le réalisme en est tel qu’on s’étonne qu’il n’ait pas altéré le caractère religieux des personnages et qu’au contraire il Tait accru. Sainte Olga, une femme russe, élève d’une main la croix et, de l’autre, présente sur une serviette l’offrande d’un petit monastère de bois ; on lit dans ses yeux farouches, encore effarés devant le baptême, sa vengeance du meurtre d’Oleg et sa traîtrise envers les Drevliens. Puis, Procopée d’Oustiouj, un solitaire courbé par la fatigue et par la prière ; Alepi l’iconographe, un bonhomme debout parmi des pots de couleur et qu’il semble qu’on ait déjà vu dans quelque monastère ; sur ces deux visages, une sainteté humaine faite de bonté sans bornes et d’inaltérable douceur. Enfin, au bas de la nef, un grand Jugement Dernier que préside un ange mystérieux, fatal : il porte d’une main l’Évangile, de l’autre la balance où les actions sont pesées ; la mer qui bout, la terre couverte de ruines et d’ossemens rendent les coupables au feu universel ; et des âmes montent à Dieu : Eve enveloppée dans ses cheveux blancs, Adam portant sa ceinture de feuilles, les saints, les preux, les martyrs, tous ceux qu’aucun crime ne charge et qui sont légers dans cette gravitation du bien et du mal.

On trouve à l’étage, dans chacune des galeries, un autel décoré : quatre grandes figures isolées ornent les compartimens de l’iconostase et forment avec une fresque de fond un harmonieux et délicat ensemble. Nestérof, symboliste moderne, artiste craintif qui frissonne devant la forme et la couleur, a peint dans sa gamme pâle ce Boris martyr, ce Glèb émacié et douloureux qui marche frileusement sur la neige, ce Constantin debout dans une prairie mystique, cette Hélène royale appuyée sur la croix. Il plairait davantage si l’artifice et la lourdeur de ses procédés ne gâtaient par endroits le charme de sa composition. Que signifie par exemple, dans cette Nativité, la traînée épaisse qui descend de cette étoile et vient se raccorder au nimbe de la Vierge ?…

— Ainsi le Christ a voulu naître dans la pauvreté ! dit tout à coup une voix derrière moi.

Cet homme m’aborde en souriant, mine chétive, pas trop propre ; une guirlande de roses brodées au coton rouge orne le