Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parmi les manufactures nationales, celle des âmes de bonne qualité peut devenir hautement lucrative. Enfin, loin d’admettre que l’accumulation de l’argent dans un pays est la seule richesse, la réelle science de l’Economie politique — ou mieux de l’Économie humaine — devrait enseigner aux nations à faire des vœux et à travailler pour les choses qui conduisent à la vie, et à mépriser et à détruire les choses qui conduisent à la destruction. »

La richesse telle que l’entend le langage courant des financiers et des économistes est donc l’ennemie ; — l’ennemie non seulement des beautés pittoresques de la nature, mais aussi du bonheur social. C’est une chose de tout point mauvaise et par là même illégitime. — Quoi! dira-t-on, il n’y a pas de richesse légitime? Il n’y en a pas de grande, répond Ruskin. « Quelle est la base juste de la richesse? C’est qu’un homme qui travaille doit être payé la pleine valeur de son travail, — que s’il ne veut pas la dépenser aujourd’hui, il ait la liberté de la garder et de la dépenser demain. Ainsi un homme industrieux, travaillant chaque jour et mettant chaque jour quelque chose de côté, atteint à la fin la possession d’une somme accumulée à laquelle il a un droit absolu. Par conséquent la première nécessité de la vie sociale est l’éclaircissement de la conscience nationale sur ce point que le travailleur peut garder ce qu’il a justement acquis. Jusque-là nous sommes d’accord avec les économistes et nous admettons fort bien l’inégalité des fortunes. — Seulement, ce n’est point ainsi que se forment les grandes richesses. Personne ne devient jamais très riche uniquement par son propre travail et son économie. Il y a toujours taxation du travail des autres. Et ici, intervient une base injuste de la richesse : le pouvoir exercé sur ceux qui gagnent de l’argent par ceux qui le possèdent déjà et qui l’emploient uniquement pour en avoir davantage. » Ce n’est pas à dire que le patronat soit illégitime. Ce n’est pas à dire qu’il ne doive y avoir au monde que des travailleurs et personne pour leur donner les outils et pour les diriger. Ce n’est pas à dire que les socialistes aient raison en s’imaginant que l’on peut se passer des « capitaines du travail ». Mais les économistes ont tort en professant que le patron peut s’approprier, jusqu’aux extrêmes limites où la grève éclate, les bénéfices du travail. « Oui, il doit y avoir toujours des capitaines du travail, mais je vous prie d’observer qu’il y a une grande différence entre être les capitaines du travail et en prendre les profits. Il ne s’ensuit pas de ce que vous