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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/888

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épouvantables dans la jolie ville arrosée par le Bisenzo et illustrée par tant de chefs-d’œuvre de Donatello et de fra Filippo Lippi ; et, le soir même de l’assaut, le cardinal Giovanni put écrire au pape : « La prise de Prato, bien que cruelle et m’ayant causé force déplaisir (dispiacere), aura au moins cela de bon qu’elle servira d’exemple terrifiant pour les autres. » Il ne se trompait guère : le sac de Prato venait de sonner le glas funèbre de la glorieuse république florentine[1].

Dans une lettre adressée par Michel-Ange à sa famille au commencement de l’été 1512[2], on lit ce curieux passage : « Si je ne vous écris pas plus souvent, n’en soyez pas étonnés : je ne le puis ; et vous, de votre côté, ne m’écrivez pas trop pendant le temps que j’ai encore à passer ici. » Il donne pour raison singulière qu’il n’a personne pour lui faire ses commissions de lettres, mais on se doute bien de la raison véritable. En général, pendant toute cette année pleine d’angoisses, il garde un silence significatif sur les hommes et les choses : nulle mention du pape, du Concile de Latran, de la bataille de Ravenne, etc. Une fois seulement il fait allusion à l’interdit, momentanément révoqué alors, et il le fait en des termes quelque peu ironiques : « J’apprends que vous êtes de nouveau rebénits (ribenedetti), et j’en suis bien aise... » A deux reprises aussi il parle de l’inquiétude (sospetto) qu’on éprouve à Rome, du « péril » qu’on prévoit à Florence, sans s’expliquer davantage et en demandant seulement à Dieu de détourner la calamité. En revanche, il revient souvent sur son ardent désir de terminer ses travaux le plus tôt possible, de quitter Rome et de se retrouver parmi les siens : il espère pouvoir le faire dans trois mois, dans deux mois, a Je suis exténué (stento) plus qu’un homme ne le fut jamais; je me porte mal et avec la plus grande peine; j’ai cependant de la patience pour arriver à la fin désirée (24 juillet)... » — « Je presse mon ouvrage autant que je peux, car il me semble que voilà déjà mille ans que je suis ici (21 août). » La tragédie de Prato le fait sortir de sa réserve et lui

  1. Le cardinal Giovanni au pape, ap. Sanuto, 29 août 1512. — Jacopo Guicciardini mande à son frère (le célèbre historien) : Furono vituperate le donne e taglieggiate, mandando a bordello tutti i munisteri... (Guicciardini, Opere inedite, VI, p. 95.) — La délicieuse chaire extérieure de Donatello au dôme de Prato garde encore aujourd’hui les traces du sac terrible de 1512.
  2. La lettre commence par les mots : Io stimo aver finito qua infra due mesi; la date conjecturale de Milanesi (octobre 1509!) est donc tout à fait impossible. Pour les citations qui suivent, voir Lettere, p. 48, 38, 40, 104, 106, 107, 108, 46-47.